Passion livres / Vertige du silence
Dans un lumineux roman en forme d’enquête sur une histoire familiale longtemps enfouie, Marie de Lattre trahit enfin la promesse de silence faite à son père au moment où il lui a révélé, plusieurs décennies auparavant, le secret de ses origines. „La Promesse“ fait ainsi le double récit d’un silence douloureux transmis de génération en génération et d’un incroyable serment passé entre deux couples qui s’aimaient dans le but de sauver un enfant juif de la déportation.
„Des histoires comme la mienne, il y en a tant“, précise Marie de Lattre dès le début de son roman, largement autobiographique, consciente que les destinées tragiques d’enfants juifs cachés pendant la Seconde Guerre mondiale dont les parents ne sont pas revenus de déportation hantent le passé – et souvent le présent – de nombreuses familles françaises. Des histoires tues, des histoires douloureuses, des histoires à oublier. Coûte que coûte. C’est ce prix exorbitant du silence au sein de sa propre famille qui, bien des années après la mort de son père, un professeur de médecine au nom respectable et respecté, décide la narratrice à retracer les événements du passé, pour tenter de combler le vide. Celui qu’elle a tant bien que mal appris à partager avec cet homme emmuré dans un silence qui constitua à la fois son salut et son malheur. Incapable – sous peine d’un probable effondrement – d’évoquer l’histoire de ses parents biologiques et donc sa propre enfance ballotée au gré de la menace nazie, Jacques de Lattre se contenta d’une confession rapide à l’intention de ses enfants, porte entrouverte et aussitôt refermée à double tour, puis de quelques vagues allusions au fil du temps et d’une série de voyages familiaux qui prirent la forme incertaine et inquiétante d’un pèlerinage sans paroles.
Une longue et tumultueuse histoire de silence et d’interdit. Celle-ci commence donc pour la narratrice lorsque, peu après son treizième anniversaire, son père l’invite à déjeuner, en tête-à-tête. Marie de Lattre fait le récit de ce moment improbable où, entre deux plats, son père l’informe que ses vrais parents sont morts pendant la guerre, qu’ils étaient juifs et s’appelaient Frieda et Ismak Kogan, qu’il a donc été adopté par Pierre et Madeleine, jusque-là les „seuls“ grands-parents paternels. Unique précision apportée par le père, la demande expresse faite à l’enfant de partager désormais son secret sans en parler à quiconque. Fin de la parenthèse. Une promesse lourde, trop lourde, à porter. Mais pour arriver au grand jour, la mémoire emprunte souvent des chemins détournés.
Après la mort de ses grands-parents, la narratrice se retrouve ainsi en possession d’une grande enveloppe en kraft pleine de lettres que son père n’a jamais voulu lire. Un trésor embarrassant de missives écrites au crayon „sur de tout petits bouts de papier, pliées, repliées, certaines presque en lambeaux“, de „cartes postales du camp de Drancy, à l’effigie de Pétain“, qu’il faut d’abord restaurer et qui resteront durant de nombreuses années dans les rayons de sa bibliothèque. Une histoire intime de ses grands-parents qui, lorsqu’elle l’ouvre enfin, bien des années plus tard, apparait brusquement à Marie de Lattre comme „vivante. Éperdument.“. „Ces lettres furent la part manquante de l’enfance de mon père. Elles racontent le destin commun qui unit ses parents biologiques, Kogan et Frieda, et ses parents adoptifs, Pierre et Madeleine. Leur correspondance amoureuse et croisée.“
Car, aussi inattendu et troublant que cela puisse paraître à la lecture de cette série de lettres retranscrites patiemment par la narratrice, le secret est double, à la fois familial et amoureux. Tout comme le grand appartement de l’enfance, dans la rue du Val-de-Grâce, regorgeait de cachettes et de tiroirs à double-fond, comme si rien n’était jamais acquis et qu’il fallait toujours prévoir la possibilité d’une fuite, l’histoire des parents de Jacques de Lattre recèle elle aussi son lot de faux-semblants et d’amours véritables. „Il y a souvent un secret caché dans le secret“, constate Marie de Lattre, qui rend hommage à la judéité de sa famille paternelle déportée tout autant qu’à l’„amour interdit“, si beau et si tragique, qui vibra entre ses quatre grands-parents. D’un côté, Ismak Kogan, juif d’Ukraine arrivé à Paris en 1923, peintre en devenir rêvant des cafés de Montparnasse, et Frieda Mandelstam, juive émancipée de Lituanie passée par Berlin, la politique et le communisme; de l’autre, Pierre de Lattre, dix ans de moins, fils de famille et amateur de peinture, et Madeleine Livet, jeune femme pieuse et bien élevée. Kogan et Frieda. Pierre et Madeleine. Pierre et Frieda. Kogan et Madeleine.
Marie de Lattre retrace avec la sobriété et l’émotion nécessaires ces quatre magnifiques histoires d’amour. Car il y en a bien quatre, chacune plus improbable, plus belle et plus déchirante que l’autre. Toutes résonnent désormais bien au-delà du 13 novembre 1942, date de l’arrestation à Paris – sur dénonciation – de Kogan et Frieda, internés à Drancy jusqu’à leur départ pour Auschwitz-Birkenau, dans le convoi n°46 du 9 février 1943. Avec les mots qu’elle parvient à mettre sur cette mémoire jusque-là inexprimée, Marie de Lattre s’autorise enfin à partager le silence de son père: „Toute sa vie d’avant, celle des Kogan et des Mandelstam, avait cessé d’être. Ce fut le prix à payer pour sa propre survie“. „La Promesse“ rend justice à ce vertige.
L.B.
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