9e Mois Européen de la Photographie / Vingt-huit nuances d’identité
Le 9e Mois européen de la photographie, ce ne sont pas moins de 28 expositions à voir d’ici la fin du mois de mai. Où l’on découvre comment ce medium populaire est forgé pour aborder et même parfois résoudre la délicate question de l’identité.
Après le corps et la nature, c’est au tour de l’identité d’être repensée sous toutes ses coutures pour contribuer à documenter les changements politiques, identitaires et artistiques de notre temps. La neuvième édition du Mois européen de la photographie au Luxembourg s’est choisi un thème qui, avec celui des frontières, présente une forme d’évidence et de pertinence atemporelle. Il est d’ailleurs aussi question de mouvements, et de barrières faites pour les empêcher, dans la quête et la recherche d’une identité. Le thème promettait de pouvoir réunir une grande variété d’œuvres et d’artistes, comme le brillant avant-propos des directeurs de l’événement, Paul Di Felice et Pierre Stiwer, en fait la démonstration.
Le thème de l’identité est fertile en photographie, non pas tant pour les „expériences personnelles et divers traumatismes, nos souvenirs et rencontres qui façonnent notre identité et influencent l’acte créatif“, dont parlent ces derniers et qui touche tous les artistes indifféremment. Mais plutôt parce que la photographie a pour objet l’être humain dans sa réalité la plus nue, sans que les images soient en mesure de dire tout de son sujet. „De nombreux artistes choisissent comme sujet de prédilection le conflit sous-jacent qui se dessine entre le personnage qui se met en scène et sa nature cachée“, notent les deux directeurs. C’est Cindy Sherman qui fait figure de pionnière au tournant des années 80, en ayant elle-même – et les différentes identités qu’elle s’attribue – pour seul sujet. Le XXIe siècle a exacerbé de multiples manières ces questionnements. „L’évocation des tensions qui peuvent s’établir entre d’un côté le corps fragilisé d’un individu face aux défis sociétaux – notamment à travers les réseaux sociaux aujourd’hui – [occupent] de plus en plus de place.“ La photographie est aussi le medium privilégié pour lutter contre ces stéréotypes qui se sont immiscés jusque dans son champ lexical et se créer une nouvelle identité. „Les questions relatives à notre identité propre – sexuelle et culturelle – face aux préjugés raciaux et clichés de toute nature sont reprises par l’art contemporain et se déclinent de multiples façons en photographie également.“
Famille et colonialisme
Le Mois européen de la photographie au Luxembourg (EMOPLux) est ancré dans un réseau européen de festivals de la photographie depuis 2006. Comme il y a Circulation(s) à Paris, PhotoBrussels Festival à Bruxelles, Foto Wien à Vienne, Imago à Lisbonne et EMOP à Berlin, il y a EMOPLux 2023 (Rethinking Identity), qui prend lieu et place en mai – et souvent aussi en juin, voire au-delà – dans une vingtaine de lieux à travers le pays. La capitale concentre la majorité des efforts, mais Clervaux, Dudelange, Ettelbruck et la ville voisine de Trèves ne sont pas en reste, tandis qu’Esch-sur-Alzette, hormis l’université à Belval, et Differdange brillent par leur absence. C’est d’ailleurs dans l’organigramme des cinq festivals partenaires que se recrute le jury composé de membres chargés d’attribuer l’European Month of Photography Arendt Award.
Si l’abondance d’expositions ne facilite pas la tâche des journalistes culturels, elle a le mérite au moins de porter la photographie dans différents territoires au plus près du grand public. Le thème „Repenser l’identité“ est, dans les faits, décliné en sous-thèmes dans plusieurs institutions. Le Casino Forum d’art contemporain s’est intéressé au corps (notre article de samedi). Le Cercle Cité se penche sur la famille et la communauté. Des six artistes présentées, on retrouve la Luxembourgeoise Lisa Kohl, partie enquêter sur les traces que laissent les migrants dans les Balkans. Le travail bien plus ironique et coloré de la Finlandaise Emma Sarpaniemi invite à la détente, notamment avec sa série burlesque „Two Ways to Carry a Cauliflower“.
Au Nationalmusée Um Fëschmaart, c’est au départ de la citation d’Arthur Rimbaud („Je est un autre“) que se déploie l’exposition qui explore notamment l’empreinte du colonialisme sur les identités et sur les corps, sujet décidément récurrent en ces lieux depuis la grande exposition. On y voit notamment les autoportraits de Zanele Muholi qui dénonce la xénophobie et le racisme en interprétant différents rôles devant l’appareil photo, mais aussi l’œuvre de feue Lunga Ntila qui joue avec l’histoire de l’art et les avant-gardes européennes pour mieux célébrer la femme africaine. Dans un autre registre, le travail sensible de Bruno Oliveira sur la sexualité, l’immigration et les particularités culturelles des communautés portugaises vaut le détour.
L’Abbaye de Neimënster met, elle, l’accent sur le regard et les thématiques féminines. Dans l’exposition „Je suis toi/Je suis moi“, il est question de la relation mère-fille, dans le sillon de la réflexion tracée par la sociologue Nancy Chodorow, qui affirmait que „les mères considèrent leurs filles comme une extension d’elles-mêmes“. On y découvre notamment les remarquables scènes intimes de la locale, à l’éclairage soignée, qui évoque la représentation de la Vierge à l’enfant. Une seconde exposition tirant son nom du livre de Virginia Woolf, „A Room of one’s own“, insiste sur les conditions de l’émancipation intellectuelle des femmes: Chaque artiste y cherche les traces de son identité dans la mémoire collective de sa ville natale, les traditions et les récits du passé.
Interaction humaine
Au Centre d’art Dominique Lang à Dudelange, Mike Zenari pose la question brûlante de ce que peut l’intelligence artificielle en photographie. L’exposition propose une alternance de portraits artificiels et de portraits réalisés par Mike Zenari. „Bien que les algorithmes puissent produire des images très réalistes et visuellement attrayantes, ils ne parviennent pas à saisir la complexité émotionnelle d’une personne réelle. Il leur manque la profondeur qui découle de l’interaction humaine“, avance l’artiste. „Pour moi, la distinction entre fiction et réalité passe par de brèves interactions, intimes, humaines, qui font partie intégrante de la photographie.“
Au Centre national de Dudelange, Jeff Weber, qui a grandi au Luxembourg, mais est établi à New York et Berlin, remet en perspective le sens de la collection Family of Man mise sur pied par Edward Steichen. Il documente la restauration de la collection menée en 2011-13, en se consacrant sur l’image doublement incongrue, par sa taille et pour son thème, de l’explosion de la bombe à hydrogène „Ivy Mike“. Ce cliché s’inscrit en porte-à-faux avec le projet de paix qu’est la collection. Il constitue aussi aux yeux de l’artiste un „délicieux“ paradoxe de la restauration d’une image de destruction. Il rappelle plus sûrement encore l’atmosphère de la création de la collection et donc les conditions de réception de l’œuvre.
La remise en perspective se poursuit avec l’installation, dans la partie centrale de l’espace, d’une réplique en miniature d’un objet servant au tri des photos et à leur conservation à l’abri de la lumière durant la période de restauration. Il en fait des gros plans sous différents éclairages. Cela donne une série de six photos sobres, reprenant les codes de la photo utilitariste, à l’inverse de la démarche de Steichen. „Image Storage containers“ replie „une entreprise idéologique grandiloquente à l’intérieur des codes d’objectivité de la photographie conceptuelle, mais surtout entre les rayonnages d’un accessoire pratique de restauration“, explique le programme.
Les galeries sont aussi de la partie. Par exemple, la Valerius Gallery sur la place du théâtre accueille une exposition de Roger Ballen, artiste new-yorkais installé en Afrique du Sud, qui cherche à donner une expression à la psyché humaine et à explorer les faces cachées de l’être humain. On peut y découvrir des photographies de la série „Shadow Chamber“ (2005), quand il photographiait des individus en marge de la société sud-africaine, et des séries „Asylum of the Birds“ et „Boarding House“, où son style évoluant entre fantaisie et réalité, recourant aux collages et découpes, fait disparaître les visages des personnes qui posent. Pour faire plus local, il y a notamment la Reuter Bausch Art Gallery (jusqu’au 20 mai) qui accueille les travaux de Christian Aschmann et Laurianne Bixhain.
Programme complet : emoplux.lu
- Un livre sur le colonialisme récompensé – Le choix de l’audace - 14. November 2024.
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- Une maison à la superficie inconnue: Les assises sectorielles annoncent de grands débats à venir - 24. Oktober 2024.
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