Danse à Neimënster en mars / Anne-Mareike Hess se dédouble
La chorégraphe Anne-Mareike Hess reprend ce soir et demain „Dreamer“, créée en 2021, avant de présenter à la fin du mois Weaver, qui viendra conclure sa trilogie sur le rôle et le corps de la femme dans notre société.
C’est un mois chargé de travail et de sens pour Anne-Mareike Hess que ce mois de mars 2023. La chorégraphe présente à l’abbaye de Neimënster ses deux dernières créations. Ces productions ont toutes deux été conçues durant son mandat d’artiste associée de Neimënster. Elle aura été la première dotée de ce statut avantageux que Larisa Faber s’apprête à endosser. „Quand on a commencé en 2020, c’était quelque chose de nouveau, il était intéressant, en dialogue avec la directrice Ainhoa Achutegui et avec Neimënster en tant que maison, de comprendre ce que ça voulait dire pour nous. On a fait du sur mesure en fonction de mes besoins“, explique Anne-Mareike Hess. Le mandat s’est notamment matérialisé par huit semaines de résidence par an. Ses créations sur place se sont nourries d’échanges réguliers sur place avec Ainhoa Achutegui dont elle trouve „admirable“ l’engagement envers les droits des femmes.
„J’ai bénéficié de beaucoup de semaines durant lesquelles je pouvais me consacrer à la recherche. En dehors des productions, pouvoir venir ici, habiter ici, être dans un atelier, c’était génial“, poursuit la danseuse qui, dans le documentaire „Le corps en état d’urgence“ (visible en replay sur rtl.lu) que la journaliste Marie-Laure Rolland a consacré à la production en ces murs de „Dreamer“, disait son bonheur de ces moments d’exploration en solitaire. „Je dois d’abord m’immerger, avec les textes, les films, me promener, regarder les gens, regarder où je vis, la société telle qu’elle est.“ C’est nourri de ces textes et ces images que le corps est ensuite capable d’une restitution. „À travers le corps, on peut tout voir, on peut tout lire, c’est un miroir de notre société, de ce qui nous bouge“, poursuit-elle quand on l’interroge sur le choix de la danse comme medium d’expression. „On peut expérimenter tellement de choses sur lesquelles on ne pourrait jamais mettre des mots. C’est très immédiat, très émotionnel.“
Guerre et rêve
Anne-Mareike Hess a son style, son obsession. „J’aime bien mettre le corps dans des états différents du mien. Quelque chose se passe dans le cerveau à travers le mouvement et la respiration, qui nous permet d’aller autre part.“ Avant de poser ses bagages à Neimënster, Anne-Mareike Hess avait déjà présenté en ces murs, „Warrior“, la première pièce de ce qui allait devenir une trilogie sur le thème du rôle et du corps de la femme, ainsi que des stéréotypes qui les accompagnent. Ce premier solo se fixait sur le stéréotype masculin du guerrier providentiel, mais disait beaucoup sur la femme et le corps féminin qui tentait de l’interpréter.
Deuxième volet de la trilogie, créé en 2020 et 2021, „Dreamer“ traite de rêve, des fantasmes et des abysses, sans qu’on sache si c’est un cauchemar, un rêve ou un mix de toutes les inscriptions dans les corps féminins, qui s’y détachent dans un décor onirique. Anne-Mareike Hess reprend cette semaine la pièce pour trois représentations. Un an après la première à Neimënster et après quinze représentations en différents pays, il lui a fallu relire les notes de ce deuxième solo, pour se remettre en mémoire les images et les tempos qui se succèdent. Pour en remplir les interstices, elle travaille aussi avec les émotions dont elle garde le souvenir, mais elle laisse aussi la thématique continuer à la travailler telle qu’elle-même est devenue. „Je crée des cadres un peu stricts pour qu’à l’intérieur je puisse le vivre. Et le vivre va être différent à chaque fois, même si je vais de A à B à C.“
Tisser des liens qui libèrent
Après avoir découvert et fortement apprécié le solo sur ses deux premières pièces de sa trilogie („C’est très particulier, très seul et intense dans la création“ dit-elle), elle a renoué avec le travail chorégraphique à plusieurs pour la troisième pièce baptisée „Weaver“. „Dans cette configuration, on doit parler beaucoup plus, il y a beaucoup plus de négociations. Une couche qui se rajoute“, observe-t-elle. La progression du fil narratif qu’elle déroule depuis sa première pièce en 2012 exigeait de retourner à un tel format. Dans „Weaver“, l’idée du tissage est au centre de la pièce. Initialement, il s’agissait de réécrire l’histoire de l’humanité rédigée par les hommes en substituant le panier à l’arme comme premier outil originel. Le panier aurait symbolisé les qualités féminines des relations interpersonnelles et du care. Mais la compagnie qu’elle a fondée durant son séjour à Neimënster a beau s’appeler utopic productions, elle n’a finalement pas voulu d’une telle fin irréaliste à sa trilogie.
„La réalité est que le corps féminin est interconnecté avec une histoire de violence“, poursuit-elle. L’actualité proche et lointaine en apporte la preuve tous les jours. „C’est quelque chose qui est dans mon corps, et dans tous les corps. C’est ça qui me fait bouger et que j’ai besoin d’exprimer, non pas pour pointer du doigt, mais pour dire si l’on veut faire quelque chose, il faut le travailler.“ L’invitation s’adresse d’ailleurs aussi aux hommes.„Il n’y aura pas de happy end, mais cela pose la question: Peut-on interrompre ce cycle qui se reproduit? C’est toujours plus intéressant de finir avec des questions qu’avec des solutions qui ne sont pas satisfaisantes. Le fait de parler, de dire non ça ne va pas, c’est déjà important.“
De l’idée originelle reste l’idée d’un tissage, comme une métaphore des destins liés des corps féminins. „On n’est pas seules, on est dans un tissage qui s’appelle société et qu’on reproduit“, détaille-t-elle, soulignant qu’il y a lieu d’en finir avec la culpabilité individuelle en rappelant ce que la situation des femmes a de collective, de systémique. Anne-Mareike Hess aime dans la chorégraphie traduire et exorciser une colère. „J’ai toujours fait des choses personnelles, parce que c’est ce qui met mon corps en mouvement. La joie de danser c’est autre chose que faire de l’art pour moi. Si je veux éprouver la joie de danser, je n’ai pas besoin de vous inviter. Je peux le faire à la maison. Mais si je veux exprimer quelque chose avec vous, pour vous, ce doit être quelque chose qui me touche, qui m’irrite.“ Ce n’interdit pas pour autant d’en rire joyeusement. À condition d’apprécier l’humour décalé.
Info
La pièce „Dreamer“ est présentée aujourd’hui et demain à 19.00 h à l’abbaye de Neimënster, où elle partage l’affiche avec „stark bollock naked“, de Larisa Faber, nouvelle artiste associée des lieux. La pièce „Weaver“ sera présentée pour sa part les 24, 25 et 26 mars à Neimënster, et les 31 mars et 1er avril au Trifolion à Echternach.
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