Artistes entre Luxembourg et Berlin / Annick Schadeck: „Je ne peux pas dissocier la danse de moi-même“
La danseuse et chorégraphe Annick Schadeck présentera de nouvelles créations en juillet à l’Art Biesenthal, non loin de Berlin, et au Framed Festival, à Prenzlauer Berg.
Annick Schadeck est arrivée à Berlin pour la première fois il y a plus de dix ans, presque par hasard. „C’était un moment où je pensais tout arrêter, mais on m’a proposé de danser dans la revue du Friedrichstadtpalast. Alors je l’ai fait, et ça m’a donné l’envie de continuer.“ Annick Schadeck venait de traverser une longue période difficile, dans laquelle elle peinait à trouver sa place dans le milieu de la danse – aussi bien en tant que danseuse, qu’en tant que femme. „À cette époque, souvent, les danseurs étaient considérés comme remplaçables. L’attitude qui prévalait était: ‚Si tu ne veux pas le faire, on demandera à quelqu’un d’autre.’ J’essayais de me conformer, d’être comme les autres. On fonctionnait comme des soldats. J’avais l’impression que je laissais les autres me rabaisser, et que je me rabaissais par conséquent moi-même.“
Aujourd’hui, Schadeck souligne le fait que chaque danseur a son individualité, son caractère unique, et que c’est précisément cela qui l’intéresse dans la danse. „Mais on n’est pas éduqués à le voir. Récemment, j’ai travaillé avec une jeune danseuse qui vivait un moment dur de sa carrière, et je me suis identifiée à ce qu’elle vivait. Je lui ai dit: ‚Il ne faut pas trop écouter les gens.’ Moi, on m’a donné un bon conseil, il y a longtemps: ‚Le plus important, c’est de ne pas s’arrêter. Ne pas arrêter de danser. On traverse des moments difficiles, mais si tu continues, ça va aller mieux.’ Je pense qu’il y a beaucoup de vérité là-dedans. Bien sûr, j’ai eu des moments où j’étais sur la corde raide, mais je sens que je ne pourrais pas faire autre chose que danser. C’est une partie fondamentale de moi, je ne peux pas dissocier la danse de moi-même.“
À la croisée des courants
Il y a quelques années, Annick Schadeck a choisi de devenir une danseuse freelance – un choix qui comporte sa part de risque et de danger – et a alors commencé à venir tous les jours au Deutsche Oper, lorsqu’elle était à Berlin. „Tous les matins, il y a un cours de danse pour les professionnels. Et de temps en temps, il y a des productions de l’Opéra qui font appel aux danseurs de ce groupe. Pour moi, en tant qu’artiste indépendante, c’est un peu un point fixe, un bon réseau. Ce ne sont pas des contrats fixes, ça se passe par projets, mais ça reste relativement régulier. Et puis c’est une belle maison, et il y a la salle qu’on peut utiliser pour d’autres répétitions.“
Aux yeux de Schadeck, il est important de travailler tous les jours avec le corps, dans une pratique régulière. „On peut le faire chez soi, mais pour moi, rien ne remplace un cours de danse classique. C’est une énergie qui m’est vraiment vitale. C’est une hygiène de vie.“
De formation classique, Annick Schadeck a commencé par travailler dans des compagnies néo-classiques qui ont imprégné son style actuel – elle se définit aujourd’hui comme une danseuse et chorégraphe néo-classique contemporaine. „Dans la danse classique, il y a différentes écoles, un peu comme dans les langues. Si on connaît bien une langue, on en perçoit les différents accents, les origines. Dans la danse, c’est pareil, et ça me fascine. Le néo-classique est une variante du classique, avec de nombreuses différences en matière de techniques. Une même technique peut également changer en fonction du contexte culturel, ou avec le temps. Par exemple, la house dance vient des claquettes, lesquelles viennent de la danse africaine, qui est elle-même très vaste. La danse classique d’il y a cinquante ans est complètement différente de celle d’aujourd’hui ou d’il y a cent ans – ce sont différents courants. Je me considère comme étant à la croisée de ces courants.“
Si on met la spiritualité en mots, ça devient une histoire. On catégorise. Mais on perd les nuances de tout ce qu’on peut ressentir. À l’inverse, la danse permet d’éprouver tout cela de manière tellement forte, qu’il vaut mieux ne pas chercher à l’exprimer par la parole.danseuse et choréographe
Pourrait-on comparer ce mélange des genres entre danse contemporaine et classique à un écrivain qui mêlerait tournures littéraires à une oralité plus assumée? „Pas forcément. Je ne me dis pas: Je vais déconstruire toute la technique et tout réassembler différemment. Pour moi, ça passe plutôt par l’individu. J’aime bien travailler en rapport très proche avec un collaborateur, qu’il soit musicien ou danseur, car forcément cette personne a un autre bagage que moi, et ce qui m’intéresse, c’est de mettre nos deux bagages ensemble et de voir ce qui en jaillit. Ça m’intéresse bien plus que de demander à l’autre de m’imiter ou de me suivre dans mes acquis. Quand je donne des cours, c’est autre chose, mais en création, ce que je veux, c’est l’échange.“
Les 6 et 7 juillet prochain, Annick Schadeck présentera le nouveau projet DANCÆ dans le cadre de l’Art Biesenthal. „Le concept est développé par ma collaboratrice, Soraya Schulthess, et je m’occupe davantage de la chorégraphie. L’idée est d’amener la danse dans des espaces d’exposition. Il y a beaucoup de vernissages, beaucoup d’événements autour des arts plastiques dans de beaux espaces à Berlin. Nous voulons travailler à des performances que nous puissions proposer aux artistes et aux espaces dédiés aux arts qui souhaiteraient occuper l’intégralité du volume dont ils disposent, au lieu de simplement en utiliser les murs.“
Célébrer l’ineffable
Ensuite, le 25 juillet, aura lieu la représentation d’une nouvelle création pour le Framed Festival, organisé par Ana Dordevic, à Berlin. „Je vais monter une pièce avec Bastian Iglesias, un compositeur et musicien qui joue du theremin. C’est un instrument qui produit un champ électromagnétique; on en joue en utilisant ses mains et son corps. C’est un instrument très vieux, un peu le précurseur du synthétiseur. Il y aura aussi deux danseurs, Tong XiaoYi, avec qui j’ai déjà travaillé, notamment au Mexique. Elle est Chinoise et habite en Angleterre. Et puis un deuxième interprète à définir. Ils viennent de formations, de techniques et d’univers complètements différents, mais dans lesquels je vois des points communs. C’est à partir de là, de ces points communs, que l’on va commencer à travailler, à sculpter notre spectacle. On a l’espace du château d’eau de Prenzlauer Berg pour travailler pendant une semaine, jusqu’à la représentation du 25. Alors, j’ai proposé d’ouvrir les répétitions au public – cela aura lieu du 19 au 22 juillet, dans l’après-midi.“ Répéter devant des spectateurs, Annick Schadeck l’a déjà fait elle-même en tant que danseuse – avec Giorgio Mancini, en Italie.
„C’est de là que m’est venue l’idée. Mais j’essaie de caler deux ou trois jours de travail avant les répétitions ouvertes au public, pour ne pas être trop fragile dans le travail. Je ne suis pas encore arrivée à ce stade de relaxation“, rit-elle. Annick Schadeck ponctue ses phrases de silence, de temps de réflexion, comme si elle se méfiait parfois de la capacité qu’a la parole de transmettre la vérité de ses idées et sentiments. Lorsqu’on lui demande ce qui est fondamental pour elle, de faire passer à travers ses spectacles de danse, elle répond: „J’ai le souvenir des premiers spectacles que j’ai vus, qui m’ont fait une forte impression. Je m’étais rendu compte que la danse pouvait exprimer des choses pour lesquelles les mots n’existaient pas. On ressent des émotions sur lesquelles on ne peut pas mettre le doigt, mais qui sont tellement fortes … C’est cette sensation-là que je cherche. Et c’est pour ça qu’il m’est parfois difficile d’écrire un concept pour une demande de financement de spectacle, par exemple. Parce que nous n’avons pas les mots. C’est très abstrait. Ce qui m’importe avant tout, ce sont le son, la lumière et le mouvement dans un espace. C’est ce que j’essaie de travailler, le lien entre ces trois éléments.“
Annick Schadeck entretient un rapport spirituel avec son art, mais là aussi, elle se méfie des mots qui risqueraient de figer cette spiritualité dans quelque chose d’inexact, alors qu’elle consacre sa création à chercher le mouvement juste, et à célébrer l’ineffable. „Si on met l’immatérialité en mots, ça devient une histoire. On catégorise. Mais on perd les nuances de tout ce qu’on peut ressentir. À l’inverse, la danse permet d’éprouver tout cela de manière tellement forte, qu’il vaut mieux ne pas chercher à l’exprimer par la parole.“
Le talent d’Annick Schadeck ne se savoure donc pas de façon intellectuelle, mais corporelle, in situ – dans la chair, le pas, le geste, ici, maintenant.
Série
Cet article fait partie de la série „Artistes entre Luxembourg et Berlin“, dans laquelle notre correspondante Amélie Vrla présente des artistes luxembourgeois-es vivant à Berlin.
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