Théâtre / „Arctique“, une fable écologiste à voir absolument
Situé sur un bateau fantôme dans un décor futuriste, „Arctique“ est une fable écologiste qui mêle fiction d’anticipation et éléments policiers, le tout étant mâtiné d’un complot politique aussi labyrinthique que les dédales du navire. Faisant preuve d’un théâtre total – avec des séquences hors-champ filmées et projetées sur un écran et une bande-son jouée sur scène –, qui n’est pas sans rappeler le travail d’un Julien Gosselin, la pièce d’Anne-Cécile Vandalem est drôle, inventive, loufoque, grinçante et réussit à être critique sans en devenir lourde. En un mot: c’est à voir absolument.
Ça se déroule en l’an 2025. Sept individus se retrouvent sur un bateau-fantôme de luxe qui erre à travers les mers. Comme dans un roman d’Agatha Christie, chacun a été convié par une lettre anonyme – et il s’avérera que chacun a été mêlé à un crime, qui a lieu sur le navire même et dont les implications écologiques et politiques se révéleront au fur et à mesure que la narration avance.
Les sept personnages, dont une clocharde, un journaliste, une ministre et une bourgeoise qui trimballe son mari dévoré par un ours dans une boîte à biscuits, sont d’abord confinés dans la salle principale du bateau pour explorer ensuite les dédales labyrinthiques du navire. Une fois le capitaine russe du paquebot disparu, un climat de méfiance s’installe assez vite – à juste titre, puisqu’à l’instar des fameuses poupées russes, les personnages recèlent des identités traîtresses, des motivations suspectes –, à quoi s’ajoute très vite l’impression que le bateau est hanté et la certitude que la radio, grâce à laquelle le journaliste espère appeler du secours, ne fonctionne pas vraiment. Peu à peu, le puzzle de ce qui a lieu dans le passé (qui est notre présent à nous) – une sombre histoire de pots de vin qu’une compagnie minière a versé à des politiciens véreux pour s’approprier des territoires naturels où vivaient les Inuits – se révélera alors que l’hostilité des personnages s’accroît, que les masques tombent et que les ontologies et les temporalités se chevauchent, s’emmêlent, se contaminent.
L’action de la pièce se divise en deux: d’abord, il y a la salle de bal du navire, un brin désuète, un tantinet poussiéreuse, mais au look futuriste, où les acteurs s’époumonent, se haranguent, se chamaillent et où joue l’Arctic Serenity Band qui, caché derrière des rideaux volontairement kitsch et sous une bannière qui dit „We Love Global Warming“, garantit un accompagnement musical quasiment constant. Les couloirs, la cale et le pont extérieur apparaissent hors-scène – l’envers du décor, caché aux yeux du spectateur, est filmé en direct par une caméra, rappelant en cela le travail d’un Julien Gosselin.
Au-dessus de la salle de bal, un écran transmet les images filmées, de sorte à ce que l’action est parfois coupée en deux, un groupe d’acteurs demeurant dans la salle principale alors que les autres s’essaiment dans les dédales du navire.
„Arctique“ est à la fois un whodunnit d’Agatha Christie situé dans un décor futuriste, un film de science-fiction où le monstre n’est pas une créature gluante aux mille dents incisives ni même cet ours polaire qui a dévoré le mari de l’épouse bourgeoise et qui fait un retour sur scène tonitruant mais bien l’homme dans sa perversion néolibérale, un huis clos à suspense et une fable écologiste sur les dérives politiques et ses répercussions sur la nature.
C’est beaucoup et ça aurait pu tourner au vinaigre s’il n’y avait pas cette ambiance particulière, cette esthétique froide et maîtrisée, cet art du dialogue décapant et cette vraie inquiétude face à un monde parti à la dérive – une inquiétude transcendée en un spectacle aussi ludique qu’intelligent. En fin de compte, si ce théâtre total, qui mêle cinéma, musique et théâtre, qui brasse les genres pour aboutir à quelque chose d’inouï, fonctionne aussi bien c’est parce qu’il ajoute, à la virtuosité stylistique, une inquiétude qui résonne avec l’actualité au-delà de la scène. Pour chipoter, notons que le son, au début de la pièce, était assez mauvais, ce qui, eu égard à l’ampleur et la qualité de la production, est assez étonnant et ruinait un peu l’immersion dans l’histoire.
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