Phénomène de la pop culture / „Baby Reindeer“ de Richard Gadd
Création de Richard Gadd, d’après son histoire vraie, la mini-série „Baby Reindeer“ bat des records d’audience sur Netflix, et défraie la chronique judiciaire.
„Baby Reindeer“ fait partie de ces séries qui suscitent l’enthousiasme et rendent accro dès le premier épisode. Dans un mélange subtil et parfois choquant d’émotions très variées, „Baby Reindeer“ surprend, déjoue les attentes, et aborde quantité de thématiques particulièrement complexes, avec un courage et une honnêteté remarquables.
Donny Dunn (Richard Gadd), la vingtaine, a quitté son Ecosse natale pour s’installer à Londres et tenter de réaliser son rêve: être un comédien, écrire et jouer ses one man shows devant un public enthousiaste. Mais la réalité est différente: les rares spectateurs qui viennent le voir dans des théâtres de seconde zone restent le plus souvent froids et sceptiques, quand ils ne le huent pas tout bonnement. Pour survivre, Donny Dunn sert des bières dans un bar du quartier de Camden. C’est là que pénètre un jour Martha (Jessica Gunning) – une femme au visage lunaire, à la chevelure ébouriffée, aux racines blanches apparentes, une quarantenaire en surpoids qui s’habille de robes à fleurs et pulls colorés. Elle prétend être avocate, mais passe en réalité l’essentiel de ses journées perchée sur un tabouret, au comptoir, à observer les moindres faits et gestes de celui qu’elle appelle son „baby Reindeer“, „mon petit renne“.
Désœuvrée, esseulée, Martha interprète le moindre geste de Donny comme la plus significative et puissante des marques d’attention – et d’amour. Bientôt, Donny devient le centre de son existence, elle le suit et le harcèle, dans la vie comme sur les réseaux sociaux. Donny reçoit des centaines, des milliers d’emails jour et nuit, à intervalle de quelques secondes, dans une orthographe qui pourrait faire penser que Martha est dyslexique ou illettrée. Lorsque, accablé, Donny se décide à faire quelques recherches sur elle, il découvre que Martha a fait de la prison pour harcèlement, et qu’elle est une personne dangereuse.
Les abîmes humains
Le créateur de la série, Richard Gadd, également acteur principal, parle en son nom. Cette histoire est la sienne, et c’est sa voix-off qui nous fait plonger au cœur du monologue intérieur de Donny Dunn – une autre version de lui-même. Rares sont les hommes et personnes dont la vie est publique qui parviennent à se livrer d’une telle façon. Gadd donne à voir ses faiblesses, sa part d’ombre, ses démons, ses paradoxes – tous ces contraires inavouables qui font la substantifique moelle de l’être humain, et que l’on s’évertue le plus souvent à gommer, au profit d’une image de soi avantageuse et filtrée, prête à être affichée sur les réseaux sociaux.
Avec „Baby Reeinder“, Richard Gadd va à l’encontre de cette démarche: il nous ouvre les portes des régions honteuses et vulnérables de son âme et de son existence, au travers d’un drame psychologique et intime, dont l’écriture subtile et juste force le respect. A travers les personnages d’un jeune homme avide de percer dans le show-business et d’une femme mythomane et isolée, Gadd traite de la question des abus psychologiques et sexuels, mais également des identités sexuelles et de genre, ou de la délicate question des liens entre abus et sexualité. Il explore l’endroit où souffrances morale et physique, humiliation, et mécanismes de survie tels le désir se rejoignent, et fait apparaître la façon dont les rôles de bourreau et victime peuvent se retrouver inversés lorsque de nouveaux contextes apparaissent.
Phénomène et fascination
Depuis que la série a été diffusée sur Netflix début avril, elle est devenue un phénomène, avec plus de 60 millions de vues, et nombre de spectateurs se sont mis à mener l’enquête pour tenter de retrouver les personnes qui ont inspiré les personnages de Martha et du scénariste avec lequel Donny espère collaborer. En passe d’être accusés de diffamation, Richard Gadd et Netflix pourraient devoir prochainement rendre des comptes devant la justice. A travers ce scandale, ce sont les questions d’éthique, de morale, et de répercussions qu’ont les œuvres d’auto-fiction sur la réalité qui sont posées.
Il paraît important qu’une personne qui a subi ce qui est arrivé à Richard Gadd puisse parler de son expérience, surtout si le but de sa création n’est pas d’accuser des personnes ciblées, mais de révéler les mécanismes complexes, infiniment paradoxaux et tout sauf manichéens qui sous-tendent les rapports de violence psychologique et sexuelle. Cela dit, Netflix aurait pu se poser la question du bien-fondé de l’incrustation, à chaque début d’épisode, des mots: „This is a true story.“ L’habituelle formule „Toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé serait purement fortuite et ne pourrait être le fruit que d’une pure coïncidence“ aurait-elle permis d’éviter le scandale ?
On peut en douter fortement, notamment étant donné le fait que Richard Gadd avait déjà joué précédemment un one man show, plus explicite encore que la série, sur les éléments qui composent son histoire. „Baby Reindeer“ est une œuvre qui sort de l’ordinaire et présente des qualités indéniables – de par son propos, le jeu de ses acteurs, sa réalisation, la qualité de son écriture. C’est là la raison première de son succès, et c’est de ce succès qu’est née la vague de suppositions, accusations et lynchages médiatiques qui déferle à présent dans la sphère médiatique.
Si le débat est complexe et s’il est indéniable qu’un cycle d’abus d’une nouvelle nature a vu le jour, peut-être qu’une façon de ne pas y participer en tant que spectateur serait de regarder la série sans chercher à y trouver les correspondances avec la réalité de la vie de Richard Gadd, mais en se concentrant sur ce que „Baby Reindeer“ révèle de nous-même: nos excès, nos troubles, les endroits de notre âme qui nous rendent tour à tour monstrueux ou désarmants, bourreau ou victime, dangereux, tyranniques, ou au contraire, dignes d’être aimés et compris.
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