Festival de Cannes / Blasé, mais pas ennuyé: „The French Dispatch“ de Wes Anderson
La vie est injuste et le critique de cinéma est un enfant gâté. Si „The French Dispatch“ avait été le premier long-métrage de Wes Anderson, l’on aurait crié au génie. Là, ce touchant éloge du journalisme (culturel) imprimé, bourré de références et agencé avec une minutie et un soin impressionnants est avant tout un résumé en forme de somme de l’œuvre du cinéaste.
Lors d’un séjour français de l’américain Arthur Howitzer Jr. (Bill Murray), propriétaire du quotidien The Evening Son, celui-ci fonde le supplément dominical The French Dispatch, dont la rédaction sera basée à Ennui-sur-Blasé, version fictionnalisée et un tantinet plus provinciale de Paris. Après le décès du père fondateur, le testament de celui-ci stipule qu’avec son décès, c’est tout le journal qui doit cesser de paraître. Se pliant à cet accès de solipsisme aigu digne du Roi se meurt d’Ionesco, l’équipe du journal, constitué de fines plumes excentriques – l’on trouve un exilé afro-américain, une autrice qui dépasse régulièrement et de loin le nombre de caractères accordés pour son papier ou encore un reporter dont la fascination pour le monde interlope en dit long sur sa propre vie – prépare un ultime numéro en forme d’hommage et de nécrologie.
Divisé en trois longs articles, qui sont autant de courts-métrages racontant tantôt la carrière de Moses Rosenthaler, un artiste criminel doublement homicide (Benicio Del Toro) qui consacre toute son œuvre à sa gardienne de prison (Léa Seydoux), tantôt un soulèvement estudiantin lors duquel la journaliste Lucinda Krementz (Frances McDormand) s’immisce, pour les besoins du reportage, jusque sous la couette d’un jeune insurgé (Thimotée Chalamet) ou encore, enfin, l’histoire du cuistot Nescafier, inventeur de la cuisine policière qui se trouve impliqué dans une sombre histoire d’enlèvement, le film de Wes Anderson adopte pour chaque „article“ les idiosyncrasies propres au style des journalistes, ces idiosyncrasies se traduisant en langage cinématographique par des pastiches de genre très soignés, Anderson se faisant un véritable caméléon stylistique, réalisant ici un court-métrage naturaliste, là une sorte de série noire.
Pourtant, l’ensemble tient par les loufoqueries étudiées et quasi-maniaques d’Anderson, dont l’univers oscille comme toujours entre délire et pédantisme, son esthétique de maison de poupées faisant lieu de fil rouge du film tout en se métamorphosant au gré des univers développés. Si c’est virtuose comme toujours et que le tout est un hommage touchant au journalisme imprimé, The French Dispatch tient plus du charmant exercice de style qui fait l’éloge d’existences solitaires et excentriques et, ce faisant, chante sa propre œuvre. Car en fin de compte, le film ne s’intéresse au réel que pour y détecter les incongruités qui fascinent le cinéaste, Wes Anderson n’y cherchant plus que la confirmation de ses fétichismes – ce dont on se rend compte quand on constate que le charme nostalgique et antédiluvien du film signale, de façon peut-être involontaire, l’arrêt de mort de ce même journalisme dont le réalisateur se veut le défendeur.
„The French Dispatch“, de Wes Anderson, en compétition officielle, 3/5
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