/ Caroline Simon au sujet de l’écriture, de la jeunesse et de la rage: „On peut se permettre d’être libres“
Les poètes se font rares, semble-t-il, au Grand-Duché. S’il se trouve encore une bonne demi-douzaine de „vétérans“ de taille, il y a bien moins de plumes vraiment exceptionnelles dans la génération suivante. Et en matière de „jeunes“, il n’y en a apparemment plus. Ou presque. Parmi ces quelques derniers jeunes partisans luxembourgeois du vers se trouve Caroline Simon, la grande découverte du concours „Jeune Printemps“ 2016.
De Luc van den Bossche
„Nous sommes tous malades, et ne savons lire que les livres qui traitent de notre maladie“, écrit Jean Cocteau dans „La difficulté d’être“. „Et si notre poésie peut permettre au lecteur d’y retrouver leur maladies, c’est le meilleur cadeau possible“, ajoute Caroline Simon. Ce n’est là qu’une seule des nombreuses citations qu’elle profère au cours de la discussion. Beaucoup de Cocteau, un peu d’Izoard, mais aussi Tom Nisse.
„Citer, c’est aimer, trouver un correspondant“, confie-t-elle, „une relation à niveau fictif, un dialogue de sourds.“ Comme toute lecture en fin de compte. Or, „ce qui nous rend spéciaux, uniques, c’est d’être connectés à d’autres personnes, de partager, de construire ensemble“. Liens qui se perdent de plus en plus dans un monde moderne qui, pour elle, n’est que du „vide autour du vide“, „une vie dans une réalité fictive“, sa définition du Mal du siècle.
Ainsi, sa rage, moteur de son travail, se dirige contre une société déshumanisante et l’existence même. Contre le siècle et la condition humaine, intrinsèquement liés. Mais autant que cette rage anime son écriture, autant elle l’entrave. La poétesse se l’explique par sa jeunesse et paraphrase son mentor Tom Nisse en énonçant: „Plus on vieillit, plus on peut dire les choses de manière simple, plus on est terre-à-terre.“
Ainsi, le plus grand défaut qu’elle voit à ses textes, c’est qu’elle y surcanalise sa rage, qu’elle complexifie pour se dérober: „La création est un exorcisme, surtout des émotions, douleurs, rage. Elles deviennent souvent si intenses que mes textes s’en retrouvent abstraits, que je m’y éclipse.“ La complexité comme vice de jeunesse …
Entre „fonction sociale“ et solitude artistique
Mais ce „problème“ dépasse la page: „Quand on commence à être plus ou moins reconnu, c’est l’étiquette ,artiste‘ qui devient très difficile.“ Parce qu’on se remet beaucoup en question, puisque le côtoiement d’autres artistes change la vision de ceux-ci, qui devient „plus directe, plus humaine, moins idéalisée“. Mais aussi dans la mesure où le titre correspond à un rôle social et entraîne ainsi une grande pression. „Quand on écrit, on est obligé d’être aussi penseur, intello, etc., du moins selon les idées reçues du public. Et cela bloque énormément.“
Dès lors, il faut beaucoup de force pour se délester de ces attentes. D’autant plus que Caroline Simon dit se sentir souvent „illégitime“: „Etre artiste signifie certes prendre plaisir à ce que l’on fait, à la création, mais c’est surtout un rôle à jouer.“
Et selon elle, cela est bien plus difficile aujourd’hui que dans le passé. „Avant, il y avait des mouvements artistiques qui créaient des communautés, alors qu’aujourd’hui on est beaucoup plus individualistes.“ Une dominance de l’individualisme qui entraîne peut-être une certaine „décentralisation“, qu’aujourd’hui l’art se fait „partout et par tous“; individualisme qui est peut-être aussi le reflet visible et perverti de la solitude propre à tout processus créatif.
Cette solitude, la poétesse la considère comme un état d’âme „dangereux“, une „porte ouverte à tous les états d’âme créatifs“, posant toujours le risque de l’écrasement. De passer à côté des „choses“. Car: „Les choses sont là. Ce sont les moyens de donner vie qui sont insuffisants alors que chacun veut canaliser le monde entre ses mots.“
Ainsi, de manière presque paradoxale, alors qu’elle refuse la phrase célèbre selon laquelle „tout est déjà dit“, elle affirme ne pas créer de nouvel univers en écrivant mais que l’écriture est peut-être déjà un autre univers. Qu’écrire, c’est „creuser une petite couche en soi-même“, „actualiser“, pour parler en termes aristotéliciens, quelque chose qui préexiste dans l’écrivain. Le texte donc comme quelque chose d’essentiellement préexistant et de radicalement nouveau en même temps.
Contre une poésie élitiste et cérébrale
Ceci dit, cette réflexion, aussi intéressante et poussée qu’elle soit, n’a finalement guère d’incidence sur un processus qui relève avant tout de l’ordre de l’„instinct“. Caroline Simon s’insurge d’autant plus contre l’image „classique“ de la poésie. Contre l’idée de la poésie comme réservée à une „élite“, souvent fort „intellectuelle“. „Il est difficile de surmonter cette notion, d’inviter les gens à tout simplement venir écouter.“
Car l’essentiel, ce n’est pas de comprendre, mais plutôt de ressentir quelque chose, ne serait-ce que de l’ennui ou de l’incompréhension. D’au moins entrouvrir une porte permettant le contact avec „une autre vision, un autre univers“. De partager l’émerveillement et la curiosité qui „alimente la littérature“. De donner une part de soi et recevoir une part d’autrui. Elle a conscience du risque inhérent à l’acte de monter sur scène et, de manière plus générale, de se dire. „Mais quel plaisir que de se mettre en risque!“
La poétesse
Caroline Simon est née en 1997. Elle a commencé très tôt d’écrire, à un moment où elle rêvait de devenir journaliste. Elle se met à écrire „sérieusement“ quand elle intègre une section „A“ au Lycée Aline Mayrisch. Elle est découverte en 2016, quand elle remportait le 1er prix du Concours „Jeune Printemps“ et fut récompensée par l’opportunité de lire ses textes primés dans le cadre du Printemps des poètes. C’est lors de cette lecture qu’elle se fait remarquer par le poète Tom Nisse; parrainage qui résultera notamment dans son introduction dans la scène littéraire bruxelloise et les publications de ses textes dans la revue littéraire bruxelloise „On peut se permettre“. Sa lecture sur scène la plus récente au Luxembourg a eu lieu dans le cadre de la soirée de clôture du festival transfrontalier „Poema“ l’année dernière à la Kufa à Esch. En 2109 elle a été „Poète en résidence“ à Saarbrücken dans le cadre du Printemps poétique transfrontalier. En a résulté un ouvrage intitulé „Die Schienbeine der Stadt“ publié chez „parasitenpresse“ en mars dernier à Cologne, contenant aussi des textes des poètes Claire Gondor et Timotéo Sergoï.
Actuellement, elle s’apprête à entamer des études de design graphique en France.
Extrait choisi
La marche qui déraille vous informe que / les prototypes de poètes (oui les prototypes de poètes) sont sortis hier dans la rue/ pour scarifier leurs gorges d’odes aux craintifs / sans reprendre leur haleine / ils mangent comme des lâches / et paient comme des héros /
la marche qui déraille vous informe que / les baleines tombent en apnée pour se reposer / cessez de forer / jamais louvoyer juste prévenir / que bientôt moins vingt / ils vendront des
kits des suicides / ces perturbateurs platoniques / leur obstination flagelle la concentration des très grands / très appliqués / chasseurs de pauvres / il suffit de traverser la rue
pour trouver un travail / les camisoles de faim s’apprêtent à défiler /
la marche qui déraille vous informe / de la dégénérescence de l’art sanguin / de la tolérance mâchouillée / du sans-appui / des vidéograttages interceptés sans votre accord /
la marche est un mythe identitaire qui s’échine / est-ce l’anarchie des frangins de fractures / observe ces têtes qui débordent / celles qui transitent / elles oublient qu’ / à l’aube cimentée / le Yémen console ses morts dans l’ombre fraternelle /
les prototypes de poètes remanient les portes de secours / la marche qui déraille n’informe plus / elle s’écrie: je tiens l’impossible dans la cacophonie.
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