Prix littéraires / Chronique d’une curée en campagne
Inspiré par l’assassinat du père Hamel, un prêtre de 86 ans tué par deux jeunes se réclamant de Daech, „La grande épreuve“ se veut un roman choral, qui explore des questions de foi et de radicalisation dans une France contemporaine partagée entre laïcité, renouveau du spirituel et fanatisme religieux. Si le récit est habilement mené, le style est quelconque et les personnages, malgré un réel souci d’individuation, un brin manichéens.
Alors qu’il regarde un épisode de „Homeland“ avec sa mère adoptive, David Berteau, qu’une mère arabe trop jeune a confié dès sa naissance à l’Aide sociale à l’enfance, lui demande s’il est musulman. Les Berteau sont aussi chrétiens qu’un couple bourgeois l’est dans une France laïcisée – ils vont à l’église deux fois par an, respectent les traditions chrétiennes sans être pratiquants, baptisent leur fils adoptif et l’inscrivent aux scouts de la paroisse voisine, surtout parce qu’on veut faire comme tout le monde. Le lien à une communauté religieuse est ténu quoiqu’existant, il exprime les résidus de traditions religieuses dans un pays sécularisé.
Au fur et à mesure qu’il grandit, il est confronté à son identité arabe – beau gosse, meilleur jouer de l’équipe de rugby, il largue sa copine quand celle-ci lui confie que sa meilleure amie lui trouve des airs arabes. En pleine crise d’adolescence, il trouve la foi, dira à ses parents de l’appeler Daoud, se réfugie sur le darknet, où il lira des pamphlets sur les crimes d’un Occident impie, se fait pousser une barbe de „maghrébin“, comme dira sa mère, et tombera dans les mailles de la radicalisation.
David/Daoud est l’un des cinq personnages dont Etienne de Montety reconstruit le cheminement avant de réunir les fils de ces cinq vies dans une scène sanglante, qui est esquissée d’entrée de jeu, quand l’auteur décrit comment la célébration d’une messe par Georges Tellier, le curé de la paroisse de Brandes, une petite ville du Sud-Ouest de la France, est sur le point d’être interrompue par l’arrivée de Daoud Berteau et de Hicham Boulaïd, „vêtus de djellabas“.
Hicham, l’acolyte de Daoud, grandit dans une banlieue où il voit sa famille s’incliner devant le sécularisme et le mode de vie français, pratiquant leur religion quasiment en cachette. Alors que ses sœurs, qui portent „jupes ou jeans slim, comme leurs copines“, sont promises à de glorieux destins français grâce à leurs bons résultats scolaires, Hicham, par rébellion autant que par désir de frimer, finit en taule, où il rencontrera l’imam Mokhtar. Il en ressortira converti puis, après avoir été éconduit par sa copine, glissera lui aussi sur la pente de la radicalisation.
Dans l’autre „camp“, Georges Tellier donc qui, après avoir combattu en Algérie et échappé de justesse à la mort au cours d’une mission où sa section tombait dans une embuscade, trouve la foi sans pourtant arrêter, au cours de sa vie de curé, de la questionner, cette foi, se demandant sans cesse quel peut encore être son rôle dans un monde où les églises se vident à vue d’œil.
Assumant le rôle du pendant féminin de père Tellier, il y a Sœur Agnès qui, après une jeunesse passée à faire la fête et à draguer, finit par annoncer à ses parents qu’elle va prendre le voile, ce qui les fait tomber des nues. Confrontée à l’assiduité des pratiquants musulmans devenus ses voisins alors qu’elle s’installe en France après avoir été envoyée par les Petites Sœurs de Jésus en Afrique du Sud, elle décide de „considérer l’islam non comme une religion concurrente, mais comme un stimulant pour sa propre vie spirituelle“.
Enfin, Frédéric Nguyen, petit-fils d’un immigré vietnamien et seul non-croyant des cinq personnages principaux, s’engage dans la police après des années de jeunesse où rien ne le passionnait au-delà de son amour pour Audrey et les tours en moto. S’y découvrant une vocation, il finira par investir la brigade de recherche d’intervention et viendra sur place avec ses hommes pour faire la peau aux assassins du curé, alimentant encore plus, sans le savoir, la guerre religieuse qui se déploie sur le terrain français en produisant des martyrs.
Face au vide, la violence?
Comme „La grâce“ de Thibault de Montaigu (prix de Flore), „La grande épreuve“ s’inscrit dans ces fictions qui s’intéressent à la religion et au renouveau spirituel qu’on observe un peu partout aujourd’hui. Alors que de Montaigu (quelqu’un a-t-il remarqué qu’il fallait, cette année, la particule nobiliaire pour se voir attribuer un prix?) évoquait sa propre conversion, le roman de de Montety ressemble plus à des films comme „L’adieu à la nuit“ d’André Téchiné ou „Le ciel attendra“ de Marie-Castille Mention-Schaar, qui montraient eux aussi la radicalisation de jeunes personnes en quête de sens dans un monde occidental qui en est de plus en plus dénué et où, écartés, marginalisés, ils peinent à s’affirmer.
Là où un film comme „L’adieu à la nuit“ d’André Téchiné interrogeait le spectateur en filmant sans trop expliquer les motifs des personnages, la distance entre les jeunes fanatisés et le public, créant ainsi un gouffre d’étonnement et d’interrogation, Etienne de Montety essaie, en se focalisant tour à tour sur ces cinq personnages, à donner à lire différentes manières de pratiquer la foi dans un monde sécularisé. Recourant à la focalisation interne et reproduisant la vie intérieure de ses cinq personnages, l’auteur veut ainsi éviter toute prise de partie.
Sans juger les deux jeunes terroristes, mais en montrant comment l’instabilité, la propagande, les fake news et le lavage de cerveau à coups d’arguments aberrants – la rédaction de Charlie Hebdo aurait bien mérité ce qui lui est arrivé puisque ses journalistes manquaient de respect à une religion, l’Occident n’aurait de cesse de collaborer avec des dictateurs comme le premier ministre israélien – les a fait tomber dans les mailles d’un réseau d’extrémistes, de Montety parvient à faire le portrait d’une France partagée entre un sécularisme où les citoyens se trouvent de plus en plus confrontés à une quête d’individualité souvent phagocytée par la vanité du néolibéralisme et une population musulmane qui souffre des retombées xénophobes découlant, elles, des actes terroristes commis au nom de leur religion.
Seulement, dans le roman, les bons croyants sont invariablement ceux visités par la foi chrétienne – Sœur Agnès est d’une tolérance à toute épreuve et bien plus ouverte d’esprit que certains de ses amis non-croyants, Georges Tellier a combattu en Algérie et essaie de comprendre ses bourreaux avant même que ceux-ci ne l’assassinent – alors que les personnages principaux arabes y sont (pour simplifier, donc) de méchants terroristes.
Même s’il parvient, d’un côté, à montrer les doutes et les concessions du curé Tellier et qu’il fait, de l’autre côté, le portrait de jeunes gens perdus et manipulés, piégés entre autres par une France qui manque de tolérance ou d’esprit d’accueil, le résultat est un brin manichéen. S’y ajoute un style quelconque, sans accrocs, qui peine, malgré des personnages individués et soigneusement construits, à convaincre qu’il y a là cinq voix différentes, qui aplanit donc les personnages là où la langue aurait, au contraire, dû trouver de quoi mettre en valeur leur individualité. Reste un roman qui se lit comme l’on regarde une série télévisuelle intelligente, bien ficelée, et qui interroge sur un sujet de société qui reste, malheureusement, d’actualité.
Info
Etienne de Montety, „La grande épreuve“, Editions Stock 2020, 300 pages, 20 euros
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