Artistes entre Luxembourg et Berlin / Daniel Dumont: „Faire planer des ambiguïtés me fascine“
Après avoir écrit et mis en scène près d’une dizaine de pièces de théâtre à Luxembourg et, à Berlin, collaboré avec un projet artistique en prison, l’écrivain, dramaturge et metteur en scène Daniel Dumont explore la forme des nouvelles et continue ce faisant de poser dans ses textes des questions philosophiques et politiques de première importance.
Rendez-vous a été fixé près du château d’eau de Prenzlauer Berg, à Berlin. Alors que le ciel matinal se couvre d’épais nuages noirs et que le vent annonciateur d’orage imminent se met à souffler, Daniel Dumont explique pourquoi il a choisi ce point de rencontre. „Pour moi, tout ce quartier est symbolique des paradoxes de la ville. Il y a ce château d’eau, le plus ancien de Berlin. Et c’est à cet endroit que se trouvait l’un des premiers camps de concentration de l’Histoire. Aujourd’hui, à la place, il y a une aire de jeu, ce qui est une contradiction particulièrement forte. Et puis ce quartier est un endroit que j’aime beaucoup car il est tranquille, au milieu d’un quartier très vivant. On peut s’y retirer pour écrire. Quand je suis arrivé à Berlin, tout était désert autour du Wasserturm, il n’y avait rien, et cela avait aussi son charme. Au début des années 90, il y avait plein de bistrots alternatifs, pas très chers, et une atmosphère de grand renouveau. Tout semblait possible, ce qui bien sûr était une illusion, mais déjà à l’époque de la RDA, il y avait beaucoup d’appartements vides, beaucoup de maisons squattées qui accueillaient des projets alternatifs, des réflexions politiques très diverses. Beaucoup de choses se faisaient, des petits théâtres, des concerts, des caves – ça a un peu disparu maintenant, mais je pense qu’il y a quand même un reste, un esprit qui demeure dans cette ville.“
Communauté d’esprit
Auteur, dramaturge et metteur en scène, Daniel Dumont est arrivé au moment de ses études à la Freie Universität. „A l’époque, il n’y avait pas encore d’université à Luxembourg, et je voulais partir dans une grande ville. Le Luxembourg a changé depuis, mais à l’époque, il me paraissait trop étroit. A Berlin, j’ai tout de suite trouvé plein de gens dont je partageais les valeurs.“ Berlin, où Daniel Dumont réside depuis 34 ans, lui est-elle devenue une muse? „D’une certaine manière, oui. Je crois que ce n’est pas tout à fait conscient, et ce n’est pas dit de façon explicite, notamment parce que j’écris aussi des paraboles et des histoires qui sont parfois un peu métaphoriques, mais dont j’imagine que l’action se joue à Berlin. Et puis ce que j’écris parle en partie de ce que j’ai vécu ici, mais si ce n’est pas forcément autobiographique. Je me nourris de ce que j’entends autour de moi, et les événements décrits pourraient se produire ici.“
Plus récemment, Daniel Dumont s’est attelé à la rédaction de nouvelles de quelques pages, au style vif et fluide. Prenants, elles sont tenues d’un bout à l’autre par une tension littéraire habilement menée et permettent au lecteur de basculer dans les pensées secrètes ou confuses des personnages. „Faire planer des ambiguïtés me fascine“, approuve Dumont. Lors de la Nuit de la littérature luxembourgeoise qui a eu lieu au TNL en 2023, l’auteur avait lu en public deux de ses récentes nouvelles: „Wiederkehr“, où nous plongions dans la démence d’une personne âgée, et „Glasklar“, où un personnage relatait la violence subie lors de manifestations, avant de plonger dans une forme de paranoïa quant à la surveillance dont il pensait être l’objet. A la lecture de ce deuxième texte, on peut se demander s’il est fait référence à la façon dont la police allemande réprime les mouvements de solidarité envers la Palestine. „J’avais écrit une première version de cette histoire il y a déjà une dizaine d’années. Mais pour moi, le sujet peut se prêter à beaucoup de manifestations, raison pour laquelle je n’ai pas précisé la cause du rassemblement qui a lieu dans la nouvelle. Hier, j’ai entendu à la radio un rapport d’Amnesty selon lequel il y aurait de plus en plus de violences policières en Europe et en Allemagne et que de plus en plus de manifestations seraient interdites. Donc, oui, ma nouvelle peut s’appliquer à ce qui se passe actuellement.“
Conseiller artistique en prison
En 2006, Dumont s’engage dans un projet artistique, en proposant ses services comme conseiller artistique auprès du projet de théâtre en prison, aufBruch Kunst Gefängnis Stadt. „Le groupe existe depuis la fin des années 90. L’un des dramaturges était tombé malade et m’a demandé si je pouvais le remplacer, et je suis resté. De façon irrégulière, mais je continue à participer à des projets. Les prisonniers sont toujours des hommes. C’est un travail de groupe. On choisit des thèmes, des pièces, des sujets. C’est assez rare que les textes joués viennent des prisonniers eux-mêmes, mais cela arrive parfois, et souvent, on en inclut dans le programme. La question qui se pose toujours est: Y a-t-il un lien entre le texte et la situation des prisonniers? Peuvent-ils le jouer? Le but explicite n’est pas pédagogique, mais je pense que cela se fait de façon indirecte. Le groupe a gagné des prix de théâtre, il est reconnu, et je pense que cela compte pour les prisonniers. L’effet pédagogique se ressent d’autant plus qu’il n’est pas une fin en soi, mais qu’on se concentre sur l’aspect artistique du projet.“
Je ne suis pas sûr que la profession d’acteur soit forcément un sujet intéressant pour tout le monde, mais ça peut être un symbole intéressant pour certains aspects de notre société: Est-ce qu’on est libre? Est-ce qu’on doit jouer notre rôle? On est censé fonctionner selon certaines contraintes, sans quoi on ne survit pas. Mais si on joue le rôle qui est attendu de nous, on court à la catastrophe sociale et écologique.
En ce moment, Dumont est en préparatifs pour sa prochaine mise en scène: une pièce de l’auteur américain John Clancy qu’il désire traiter à la façon d’une parabole. „Ça parle d’un acteur, de la façon dont il met en scène sa vie et est lui-même mis en scène, des difficultés qu’il rencontre, etc. Je ne suis pas sûr que la profession d’acteur soit forcément un sujet intéressant pour tout le monde, mais ça peut être un symbole intéressant pour certains aspects de notre société: Est-ce qu’on est libre? Est-ce qu’on doit jouer notre rôle? On est censé fonctionner selon certaines contraintes, sans quoi on ne survit pas. Mais si on joue le rôle qui est attendu de nous, on court à la catastrophe sociale et écologique.“
L’une des autres thématiques qui semble récurrente dans les dernières pièces de théâtre de Dumont („Die Unendlichen“, représentée en 2021 au Theater unterm Dach à Berlin, et „Splittergesichte“, jouée en 2018 au TNL), est la peur de la mort. „Une peur universelle et atemporelle“ à laquelle Daniel Dumont a eu le courage de faire face, il y a plus de dix ans, lorsqu’il a accompagné sa mère durant la fin de sa vie, alors qu’elle avait été placée en soins palliatifs dans un hôpital à Luxembourg. „C’était un moment très difficile, bien sûr, mais je suis vraiment reconnaissant de l’avoir vécu. Cette unité de soins palliatifs était un endroit tellement humain, empli de gentillesse, de compassion, de sensibilité. L’une des meilleures choses que j’ai connues au Luxembourg.“
A travers ses dernières pièces, Daniel Dumont a l’impression d’avoir abordé cette expérience unique de manière indirecte. „Mais peut-être que la raison pour laquelle j’écris des nouvelles est liée à cet épisode de ma vie. Car la forme des histoires courtes me permet d’écrire sur la vie intérieure des personnages, contrairement à ce qu’autorise le théâtre. Les monologues intérieurs me passionnent et peut-être vont-ils me pousser à aborder ce sujet-là en particulier, je ne sais pas encore. Car il y a des sujets qui font encore trop mal et qui demandent encore du temps avant que je ne parvienne à écrire dessus.“
Série
Cet article fait partie de la série „Artistes entre Luxembourg et Berlin“, dans laquelle notre correspondante Amélie Vrla présente des artistes luxembourgeois-es vivant à Berlin.
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