Documentaire / Dans l’antre de la sororité: „Smoke Sauna Sisterhood“, de Anna Hints
Les 8 et 9 juillet, au Ciné Utopia, le documentaire estonien „Smoke Sauna Sisterhood“ est programmé dans le cadre du „Cycle Women Power“, l’occasion de découvrir ou revoir ce film singulier, lauréat de nombreux prix, dont celui de la „Meilleure réalisation“ au Sundance Film Festival.
Le cycle „Women Power“ présenté par le Ciné Utopia „met en lumière les voix et histoires féminines en explorant des thèmes variés“. Après des films comme „Tiger Stripes“ d’Amanda Nell Eu ou „The Mother Of All Lies“ d’Asmae El Moudir, c’est au tour du documentaire de l’Estonienne Anna Hints, „Smoke Sauna Sisterhood“, d’être programmé les 8 et 9 juillet. Récompensé par de nombreux prix prestigieux, parmi lesquels le „Prix du meilleur documentaire“ aux European Film Awards et au San Francisco International Film Festival, il a représenté l’Estonie dans la course aux Oscars et remporté le Lux Audience Award décerné par le Parlement européen et la European Film Academy.
Moments privilégiés
„Smoke Sauna Sisterhood“ se déroule presque exclusivement dans le huis clos d’un sauna, dans le Sud-Est de l’Estonie. Dans cet espace sacré, au milieu de la forêt, un petit groupe de femmes se réunit au fil des saisons – au creux d’un hiver poudré d’une épaisse neige, aussi bien que sous les rayons d’un soleil éclatant, alors que la nature luxuriante revit. Ensemble, ces femmes s’y dévêtissent et pratiquent les gestes rituels liés à la cérémonie du sauna (un rite désormais classé au Patrimoine immatériel de l’Unesco): le feu y est attisé dans l’âtre, l’eau versée sur les pierres brûlantes, les branches de bouleau (viht ou vihad, au pluriel) récoltées dans la forêt sont composées en bouquet, trempées dans un seau d’eau et utilisées comme un fouet léger contre la peau nue, de façon à activer la circulation du sang. On y chante des chants traditionnels, issus du folklore estonien, qui agissent comme des mantras, des prières païennes. Les femmes qui s’y réunissent y allaitent leur nouveau-né, y massent leur ventre enceint, y lavent leurs saignements mensuels, y shampouinent leurs chevelures, y enduisent de baume apaisant les marques de leurs blessures visibles. Ensemble, elles y suent, y rient, y pleurent, y déposent leurs confidences et leurs secrets.
La réalisatrice, Anna Hints, a réalisé un admirable travail d’accompagnement de ces femmes durant plusieurs années, gagnant leur confiance jusqu’à entrer dans leur intimité la plus profonde, et se voir autoriser à filmer ces moments privilégiés, dans lesquels les femmes se livrent, se racontent, exposent leurs traumatismes et leurs plaies. Par moments, on pourrait presque se demander si le film n’est pas trop dense – au sens où tous les sujets auxquels il est possible de songer, lorsqu’on pense au destin d’une femme blanche dans le monde, sont abordés. Mais cette densité n’est-elle pas impossible à éviter, lorsqu’on filme les secrets des femmes ?
Esprits bienfaisants
La plupart d’entre elles ont demandé à rester anonyme, raison pour laquelle nous ne voyons apparaître qu’un ou deux visages à l’écran. Respectueusement, en douceur, la caméra de „Hints“ s’attarde surtout sur les corps, en gros plan, passe dessus comme une caresse, comme un geste de réconfort. Parfois, on peine à distinguer les formes humaines de la rondeur d’une pierre brûlante. Les pores se dilatent, les gouttelettes de sueur perlent, la chair réagit, incarnant les rires, les émotions vécues. Dans ce sauna, on explore la chair, on la met en valeur, on célèbre les sens, les textures, les odeurs.
Analogie humoristique, une femme âgée, les cheveux ramenés dans un fichu traditionnel et coloré, vient pendre des morceaux de jambon au-dessus des bancs de bois, de façon à sécher et fumer la viande. Entre usage pratique et sacralité, le sauna devient un cocon, un utérus, un espace protégé. Les esprits bienfaisants semblent par moments se matérialiser dans la fumée vaporeuse qui emplit l’espace, une fois le feu allumé et ronflant. Parfois, cette vapeur aux allures de brume s’échappe par la cheminée jusque dans la nature environnante, où elle semble flotter au-dessus du lac immobile, emportant avec elle les récits des femmes pour les mêler à la mythologie de la forêt estonienne. Parfois, les femmes sortent du sauna, descendent nues dans le trou qu’elles ont formé dans le lac glacé à coups de pelle. Tour à tour, elles ôtent leurs chaussettes de laines, descendent les barreaux d’une petite échelle en bois, et plongent dans l’eau glacée, le temps d’un soupir guttural, puis remontent à l’air froid, revigorées.
Peut-être pourrait-on regretter qu’il ne soit jamais fait allusion à une potentielle complexité dans les relations que ces femmes entretiennent les unes envers les autres. Anna Hints choisit de filmer ce qui les lie et les unit – leur capacité à se raconter les unes aux autres, à s’écouter, à s’épauler en silence lorsque l’émotion se fait trop forte, sans mentionner de possibles conflits, désaccords ou doutes. Image peut-être un peu simpliste de ce que sont les relations des femmes entre elles, ou désir assumé de faire le portrait d’une sororité nécessaire, cette solidarité féminine dont le monde a grand besoin?
Une invitation
Lors d’un plan large, Hints nous montre le groupe de femmes nues dans la neige, devant la porte du sauna. Elles rient de leurs voix pointues tout en s’amusant à se jeter de la poudreuse au visage, dans un tableau champêtre, une scène de gentil badinage. On pourrait éprouver une forme d’agacement à voir ce groupe de femmes présenté ainsi, dans une légèreté hilare qui peut relever d’un certain cliché de la féminité. Mais il est intéressant alors de se questionner sur ses propres émotions et sur l’intention de la réalisatrice. Peut-être Anna Hints fait-elle résolument figurer ces images dans son film, pour permettre aux spectateurs et spectatrices d’examiner la misogynie intériorisée qui continue possiblement de croupir en eux, comme une eau trouble et stagnante?
Que l’on épouse la cause du féminisme ou pas, „Smoke Sauna Sisterhood“ est une invitation, un privilège – celui d’entrer dans l’intimité de ces femmes, de recevoir leurs récits les plus personnels, d’appréhender ce que sont leurs vies, leurs luttes, leurs meurtrissures, et d’apprendre de leurs rites qui permettent de panser et guérir leurs blessures – qu’elles soient encore béantes ou cicatrisées.
Au Cinéma Utopia. Le lundi 8 juillet à 14.00 h et le mardi 9 juillet à 18.45 h.
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