Berlinale (11) / Danse macabre: „Disco Boy“ de Giacomo Abruzzese
Premier long-métrage de Giacomo Abruzzese, „Disco Boy“ est une des propositions les plus novatrices et radicales de la compétition, dont le propos est tenu ensemble par un Franz Rogowski qui convainc dans un rôle sensible.
Au début, c’est la fête. Deux jeunes Biélorusses se retrouvent dans un bus qui traverse la frontière polonaise pour un match de foot. Les douaniers, pas dupes, avertissent les joyeux lurons: le visa ne vaut que pour trois jours et se limite au territoire polonais.
Pourtant, Aleksei (Franz Rogowski) et son ami Mikhail ont bien autre chose en tête – ils veulent à tout prix rejoindre la France, Eldorado adulé dont Aleksei a appris des bribes de langue en regardant des films et dont, avec son ami, ils se lancent des vocables quand ils traverseront l’Oder à la nage pour rejoindre, illégalement, le territoire français. Hélas, Aleksei y arrivera seul, en France, et, sans papiers, s’inscrira à la légion étrangère, où on lui promet, après cinq ans de loyaux services pour la patrie, un passeport français.
Le film change alors de perspective, montrant des guérilleros nigérians qui luttent contre la destruction de leur habitat et de leurs ressources par des compagnies pétrolières, lutte filmée, quand le film transite d’un fil narratif à l’autre, par une journaliste, Vice, un peu déboussolée.
Débarquent ensuite des soldats de la légion étrangère, dont Aleksei, chargé de libérer deux Français kidnappés par la troupe rebelle dirigée par Jomo (Morr Ndiaye). Au cours de la mission, les deux hommes en viennent à s’affronter – et c’est Aleksei qui, à nouveau, émergera comme seul survivant dans une lutte aquatique qui ne manquera pas de lui rappeler sa traversée tragique de l’Oder.
Entre l’Oder, le Niger et la Seine, „Disco Boy“ met le fleuve en son centre sémantique, qui condense par métaphore des sujets comme la politique migratoire de l’UE, la décolonisation factice de pays africains de fait gouvernés par des multinationales, au centre de quoi figurent deux personnages antithétiques, Aleksei aspirant simplement à une vie décente là où Jomo se sacrifie pour le bien-être de son peuple.
Si le film devient plus décousu dans son dernier tiers, c’est qu’il accompagne la désolation de son personnage principal, qui porte non seulement le deuil de son ami – dans une scène touchante, il commandera deux verres de Bordeaux dans un club, s’en contrefoutant de ce qu’un vieux trafiquant de diamants lui lancera que ça fait longtemps que plus personne n’en boit, de Bordeaux, surtout pas dans une boîte de nuit parisienne, serions-nous tentés de rajouter, trinquant alors avec son ami fantôme – mais qui ne réussit pas à passer outre cette scène de violence où, plutôt que de sauver des habitants d’un village en flammes, comme il le propose à ses commanditaires, il fut obligé de tuer.
Le thème du double fantôme, de la mort, du dédoublement hante ce premier long-métrage qui dissout peu à peu sa propre logique narrative comme se dissout lentement dans l’alcool et la nuit son personnage principal, Abruzzese abandonnant toute logique narrative réaliste en faveur d’une logique surréelle, nocturne et poétique.
Ce sont alors la performance de Rogowski, fragile et à fleur de peau comme il le fut déjà dans „In den Gängen“, crédible à mort, la réalisation, novatrice, avec son esthétique osée, loin du classicisme de maint film de la compétition, la magnifique bande-son de Vitalic et le beau travail d’Hélène Louvart derrière la caméra qui en font un premier long-métrage décontenançant, aussi court que cinglant, à qui on espère une carrière au-delà de ce festival dont les films, même en compétition, sont loin de tous arriver dans les salles européennes – il l’aurait bien mérité.
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