Film / De pire empire: „Astérix et Obélix: L’empire du milieu“
Confrontés à des réactions critiques virulentes, le réalisateur Guillaume Canet et son producteur essaient de sauver les meubles – en recourant à une rhétorique agressive et mensongère.
S’appuyant sur une campagne publicitaire agressive, entre chantage affectif, prospectives apocalyptiques pour le cinéma français et coups bas contre les méchants critiques, le réalisateur Guillaume Canet et son équipe sont sur la bonne voie pour obtenir gain de cause. Car moins on parle du contenu de ce film, mieux celui-ci s’en porte.
C’est pourtant un peu normal, que la presse parle plus de ce qui se passe autour du film que du long-métrage à proprement parler: le plus intéressant dans „Astérix et Obélix, L’empire du milieu“, c’est bien sa campagne publicitaire, qui est une tentative d’opacification dont le but officieux est de faire en sorte qu’on n’en parle plus, du film. À reléguer ainsi tout débat dans le hors-champ du long-métrage, l’on détourne l’attention de tout ce qui, objectivement, ne va pas, dans ce qui est, avec un budget de 65 millions, le neuvième film français le plus cher de l’histoire.
En procédant ainsi, l’équipe autour du film, son réalisateur Guillaume Canet et son producteur Jérôme Seydoux au premier chef, s’adonnent à une rhétorique manipulatrice et autoritaire digne de la rhétorique d’une certaine droite.
„Si ce film ne marche pas, il n’y en aura pas forcément beaucoup d’autres“: c’est ce que Guillaume Canet affirma sur France Inter avant le lancement de son film, ajoutant encore que, „si un film comme ça ne marche pas, il n’y a plus un financier qui va mettre de l’argent dans les films“. Cela s’appelle du chantage affectif, doublé d’une sorte de menace de sevrage économique dont on se demande bien comment Canet, simple réalisateur, voudra l’exécuter, pour qui les enjeux sont par ailleurs assez importants: outre un cachet de 500.000 euros pour ce film ni fait ni à faire, on lui aurait promis une prime d’un million si le film atteignait les 7 millions de spectateurs. Ça n’est donc plus un hasard si le fameux joueur de foot Zlatan Ibrahimovic apparaît dans le film: avec de telles sommes, on joue désormais plus dans la ligue des salaires de joueur de foot que dans celle du cinéma.
D’ailleurs, dans vos cinémas Kinepolis, la séance commence par ce qui est peut-être le moment le plus (involontairement) drôle du film, si tant est qu’on considère qu’une telle introduction paratextuelle puisse faire partie de l’œuvre: on y voit Canet et Lellouche faire la promo pour un film que de toute façon on s’est résigné à aller voir, Lellouche semblant oublier pourquoi il est là – sauver les meubles d’un film abyssal –, qui se contente de gentiment encourager le public à fréquenter les salles Kinepolis, les meilleures d’Europe selon lui, Canet revenant tout de suite à la charge en ajoutant qu’il faudrait cependant surtout y aller pour voir son „Astérix“, sinon tout ce sketch n’aura servi à rien. Notons que si Lellouche omet ou feint de rater le coche en se contentant d’encourager les gens à aller au cinéma sans spécifier de s’y rendre pour Astérix, c’est, à défaut d’un geste de sabotage conscient, tout au moins un lapsus freudien révélateur.
Un discours manipulateur
„Les critiques ne comprennent pas que les grandes comédies sont faites pour le grand public“, glissera un peu plus tard Jérôme Seydoux, chef de Pathé et l’un des producteurs du film – ce même Seydoux qu’on avait pu voir sur la couverture de la fameuse édition du Film français, qui avait donné au reboot du cinéma francophone un visage exclusivement mâle et blanc – à Philippe Labro, vieil écrivain dont plus personne ne lit les romans depuis cent ans. Ce dernier crut bon recourir, sur Le Point, à ce bon vieux clivage entre culture populaire et arrogance de la critique pour bien faire voir que, si la presse le snobe – „c’est une claque aux critiques“, se réjouit Labro, ajoutant que „pour des films d’une telle envergure“ (on aimerait savoir de quelle envergure il parle), „la critique ne joue pas de rôle“ –, le grand public, lui, sait encore reconnaître un grand film quand on le lui met devant les yeux.
Ces affirmations appellent plusieurs remarques: d’un, un premier relevé de l’avis des spectateurs sur Allociné permet de voir que le public est bien plus déçu par le film que la presse, avec une véritable pluie d’avis négatifs (une moyenne de 1,8 sur 5 pour plus de 6.000 avis là où certains titres comme Télérama ou Le Point jouent leur crédibilité en défendant le film). De deux, les statistiques publiées, qui témoignent d’une première semaine très forte, avec 466.703 entrées, sont gonflées par nombre d’avant-premières (275.658) qui constituent donc plus de la moitié du chiffre annoncé. Qui plus est, il y a fort à gager que le bouche-à-oreille – de la critique et du public – contribuera à faire, sinon déserter les salles, au moins décourager certains qui se le seraient tapés, sinon, perdant ainsi deux précieuses heures de leur vie.
Cette attaque contre la presse est aussi une façon plutôt rusée de susciter des réactions, tant la presse s’en trouve donc à se défendre des accusations, rectifiant, comme je suis en train de le faire, les statistiques et, ce faisant, contribuant à faire parler du film en publiant encore plus d’articles là où sa qualité l’aurait de fait condamné à vivoter dans la presse sous forme de courtes critiques dévastatrices.
C’est aussi et surtout, dans sa volonté d’imposer ce film en faisant dépendre tout l’avenir du cinéma français du succès de ce film, inventant ainsi un monde où Pathé serait le seul à financer les films français, en se mettant la critique à dos, suggérant que cette dernière non seulement n’aurait rien compris, mais qu’elle serait de surcroît superflue, une façon très peu démocratique, aux relents totalitaires, de promouvoir un film qui, on le verra, n’a aucune raison de faire parler de lui.
Ni fait ni à faire
Alors, puisqu’il faut en passer par là, parlons-en quand même un peu, du film: premier Astérix à ne reposer sur aucun album BD, cet „Empire du milieu“ raconte l’histoire abracadabrante d’une impératrice chinoise en proie à un putsch lancé par le méchant Dengh Tsin Qin après que sa fille eut refusé la main de celui-ci (l’onomastique en forme de calembour étant une propriété des Astérix, préparez-vous à toute une flopée d’Antivirus, Épidémaïs et autres Biopix).
Alors que Dengh Tsin Qin demande de l’aide à un César (Vincent Cassel) qui n’accepte une telle intervention que parce que son épouse Cléopâtre (très mauvaise: Marion Cotillard) ne le désire plus, la fille de l’impératrice s’enfuit pour demander de l’aide aux fameux Gaulois, qui embarquent donc pour la Chine dans une aventure qui devait s’avérer riche en péripéties, vannes foireuses, potion magique avalée et Romains tabassés.
Sauf que, oui, chaque scène est bâclée, que Canet ne fonctionne pas du tout en Astérix (il ne voulait d’ailleurs pas le jouer), que Lellouche est en pilotage automatique, qu’on a l’impression qu’on a d’abord dressé une liste des innombrables caméos, guest-stars et autres célébrités avant de réfléchir à leur attribuer un personnage quelconque, que le sens d’humour potache se réduit à des one-liners foireux qui se transforment, dès lors que les scénaristes ne savent plus quoi leur faire dire, en punch-line au sens littéral du terme, Astérix ou Obélix n’ayant aucun sens de la repartie, absence qu’ils colmatent par des coups de poing et autres tabassages en série.
Pire, le long-métrage essaie de dépoussiérer une BD dont certains aspects ont mal vieilli, même si on est loin des fresques congolaises d’un Hergé. Pour remettre tout ça à la sauce PC du jour, Astérix refuse de manger des sangliers et une danseuse lance à César que les femmes n’ont pas assez de pouvoir, ce qui inspire à César et à ses sbires un fou rire. Voilà pour le féminisme – et on ne peut s’empêcher d’y voir un clin d’œil à une hypothétique réaction du CEO de Pathé face à ce qu’il doit considérer comme des simagrées ridicules des réalisatrices et actrices qui s’étaient plaintes du peu de place qui leur est accordé dans le milieu du cinéma français, peu de place symbolisé donc par la couverture du Film français déjà évoquée.
En fin de compte, tout est dit dans la première scène. On y voit Astérix et Obélix se promener dans la forêt. Astérix parle de sa nouvelle alimentation, végane, alors qu’Obélix ne comprend évidemment pas pourquoi bouffer trois sangliers par jour serait de refus (il n’a pas tort, puisque le mal de l’alimentation animale vient plutôt des abattoirs, de la globalisation et des scandales liés aux chaînes de production, toutes choses qu’on ne rencontre guère en la Gaulle de leur temps).
Astérix précise alors vouloir se passer de sa potion magique, Canet posant son Astérix en toxico prêt pour le sevrage. Ils rencontrent ensuite des Romains qui attendent gentiment les délibérations du duo pour se faire éclater la gueule par un Astérix sous potion. Fin de la scène, dont on n’a pas compris le sens: la drogue, c’est mal? La drogue, on voudrait bien s’en passer, mais quand on s’en passe, on est nul? La drogue, du coup, c’est sympa? Les végans sont tous aussi ringards que la coiffe de Canet-stérix? À voir cette scène, on se croirait presque dans une parodie Les Inconnus – sauf que les Inconnus, à l’époque, c’était beaucoup, beaucoup plus drôle.
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