Festival de Cannes / Déboîtements et emboîtements: „Coupez!“ de Michel Hazanavicius
Deuxième film de zombie en l’espace de trois films d’ouverture, „Coupez!“ de Michel Hazanavicius est en réalité un métafilm qui enchâsse les mises en abyme et nous plonge dans les coulisses d’une production cinématographique – un peu comme „Official Competition“, film d’ouverture de la dernière édition du LuxFilmFest. Si c’est souvent très drôle, le film est trop lisse pour être l’hommage au bricolage et à l’improvisation qu’il veut être.
Ça commence avec un tournage qui se passe mal: l’actrice Chinatsu (Matilda Lutz) doit fondre en pleurs avant de se faire mordre par Ken (Finnegan Oldfield), son collègue zombifié. Parce qu’elle peine à convaincre, le réalisateur l’insulte, lui dit qu’elle joue mal et qu’elle mène une vie de merde jusqu’à ce que la jeune comédienne s’effondre en pleurs – pour de vrai.
Peu après, ce sont des zombies tout aussi réels qui affleurent – car ledit réalisateur, outragé devant le peu de talent de ces acteurs, a déclenché une obscure malédiction, de sorte que son équipage se transforme peu à peu en morts-vivants tandis qu’un de ses acteurs débite ses théories sur le zombie comme métaphore du capitalisme nécrosé.
Au bout d’une demi-heure d’hommage aux séries Z qui aura fait partir quelques spectateurs tant c’est volontairement mauvais (ce sera peut-être le Cannes des sorties prématurées, puisqu’à la fois Hazanavicius et David Cronenberg ont dit dans des entretiens qu’ils s’attendaient à ce que des gens partent en début de film), le film opère une analepse censée nous expliquer l’origine de ce projet – car on l’aura deviné, c’est à un film dans le film qu’on vient d’assister.
En effet, une productrice japonaise cherche (et trouve) un réalisateur „pas cher, rapide et dans la moyenne“ – Rémi, le réalisateur incarné par Romain Duris s’autodéfinit par ces trois qualificatifs peu flatteurs – pour tourner un film de zombie qui devra être réalisé en un seul plan-séquence. Ce sont alors les préparatifs qui sont filmés, un peu comme dans „Official Competition“, avec un acteur censé être le nouvel Adam Driver français et qui n’a de cesse de critiquer l’ensemble du scénario, un autre qui est constamment bourré et un dernier qui est juste désagréable.
Enfin, dans sa troisième et dernière partie, Hazanavicius (re)montre le plan-séquence (donc les premières trente minutes) dans une sorte de contre-champ, de making-of où nous voyons les dessous d’un tournage chaotique, voué à l’échec, qui sera miraculeusement sauvé par l’entrain et les coups de génie de son équipe. Ainsi, le tremblé de la caméra s’explique par une paralysie momentanée du caméraman et les dialogues à bâtons rompus dérivent du fait qu’un des acteurs est out of order pour avoir vidé cul sec le saké offert par la productrice, une Japonaise un peu fofolle.
C’est à la fois parfaitement drôle et un peu trop long, puisqu’une fois qu’on en a compris le principe – tout ce qui paraissait un chouïa novateur, expérimental et drôle dans la première partie était dû au hasard, à la contingence, à l’incompétence d’une partie de l’équipe –, le jeu de piste devient un brin répétitif.
Remake d’un film japonais au succès inattendu (la version française s’appelle d’ailleurs „Ne coupez pas!“), „Coupez!“ fait penser à „Réalité“ de Quentin Dupieux (pour la recherche sur le cri d’horreur), à „Official Competition“ de Mariano Cohn et Gastón Duprat (pour le côté regard derrière les coulisses et caméra braquée sur tous ceux qui doivent supporter les emportements et crises d’égo des acteurs·rices), ou encore à „Be Kind Rewind“ de Michel Gondry (pour son hommage au bricolage et au home-made).
En effet, si tout le film tient dans son titre polysémique – l’injonction „Coupez“ pouvant se référer à la fois au dépeçage de zombies et à l’interruption d’un tournage de scène, le découpage de membres faisant allusion à la structuration décousue du long-métrage –, il se veut avant tout un hommage au DIY, à l’improvisation et au travail de ceux qui opèrent dans les marges du film et que Hazanavicius veut sortir de l’ombre.
Cependant, le long-métrage est en fin de compte trop lisse, dont la parodie reste en surplomb alors même que les quelques tentatives d’y glisser de l’émotion tombent à plat tant l’histoire de la relation père-fille est à la fois sous-développée et gorgée de pathos. Qui plus est, la dernière partie, aussi drôle qu’elle fût, n’ose pas aller jusqu’au bout, préférant faire de la présence sur le set d’une hache bien réelle un MacGuffin plutôt que d’en profiter pour insérer dans son film du gore véritable.
Du coup, le film reste trop sage, son jeu sur les contagions entre réalité et fiction n’osant pas sortir du domaine de l’humour scabreux pour embrasser le tragique, le glauque ou l’hyperbole. En l’état, Hazanavicius joue sur l’illusion cinématographique pour nous rassurer: le cinéma, c’est le cinéma, et le réel, c’est le réel. En fin de compte, il est dommage que, de tant d’emboitements, on n’obtienne en fin de compte qu’une tautologie – même si c’est une tautologie qui fait beaucoup rire. A y réfléchir, côté monstre, on était mieux servi avec ceux, bien plus effrayants, qui peuplaient le film d’ouverture de l’année dernière, „Annette“ de Leos Carax.
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Un retour à la norme? Après deux années particulières – une édition annulée en 2020 et une édition repoussée en 2021, avec port de masque et dépistages quotidiens pour ceux, nombreux, dont la vaccination était encore trop récente pour être valorisée (il fallait alors cracher comme un lama dans un récipient, c’était très hygiénique, tous ces filets de bave) – voilà donc un retour à la norme bienvenu, qui ne parvient toutefois pas à cacher que l’industrie a été économiquement secouée par les deux ans de pandémie, de fermeture de salles et un habitus changeant du public, dont une partie semble avoir oublié qu’il y a des salles de cinéma, avec pour résultat un recours de plus en plus fréquent sur Netflix. Pour marquer la différence, pas de sac avec l’accréditation de cette année (bien des journalistes devant moi ont râlé), mais un poster et un pin en or sur lequel on peut lire: „Les séries, c’est quand même moins prise de tête“.
Cherchez la femme. En compétition officielle, beaucoup de noms aguicheurs tels les frères Dardenne, le retour fracassant de David Cronenberg ou encore celui de James Gray ou de Park Chan-Wook. S’il y a de nombreux primo-arrivants en compétition pour compenser l’impression de ne voir toujours que les mêmes têtes, force est de constater que ça manque, une fois encore, de réalisatrices. Et si on visait un peu la parité, en compétition, comme cela est le cas à la Berlinale depuis longtemps? Cela éviterait aussi des palmes d’or pseudo-féministes comme celle de l’année dernière, qui était allée au médiocre „Titane“, alors qu’il y avait de vrais films à couronner (comme l’exceptionnel „Drive My Car“). Car être véritablement féministe, c’est chercher la parité en compétition.
La guerre. Alors que le LuxFilmFest avait choisi de boycotter, voire de retirer l’intégralité des films russes de la programmation, la compétition du festival de Cannes s’inaugure avec le nouveau film de Kyrill Serebrennikov, déjà en compétition l’année dernière et exilé depuis peu à Berlin. Le choix du festival de refuser d’inviter une délégation russe mais de pourtant soutenir les cinéastes ukrainiens (comme le montre „The Natural History of Destruction“ de Sergueï Loznitsa en Séance spéciale) et les cinéastes russes dissidents me paraît une solution bien plus appropriée que le boycott injustifié des productions russes qu’on a vécu au Luxembourg – à condition toutefois de savoir comment régler la question des fonds, les productions cinématographiques étant bien souvent soutenues financièrement par des (entreprises) proches du Kremlin …
La cérémonie d’ouverture. Vincent Delerm essaie de faire chanter „que je t’aime“ à toute la salle, Volodymyr Zelensky nous rejoint par appel vidéo pour brosser maint parallèle entre Poutine et Hitler et dire que c’est avec „The Great Dictator“ que le cinéma a cessé d’être muet dans tous les sens du terme (on aura compris qu’il voulait surtout souligner le pouvoir de résistance du cinéma), Virginie Efira accompagne le tout avec des moues de circonstance, entre abattement et joie tandis que Vincent Lindon, président du jury, fait osciller son discours entre pathos et justesse (quand il dit avoir l’impression qu’on effectue une dernière danse sur le Titanic). Bref, ça devient de plus en plus un fourre-tout, une hollywoodiade dont le seul mérite est de brouiller les frontières entre simulacre et réalité. Mais mardi soir, après l’intervention du président ukrainien, il devenait de plus en plus difficile de l’entretenir, le simulacre – et cela d’autant plus que depuis ce lundi, en France, tous les masques pandémiques sont tombés.
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