Hip-hop / Déconstruction du genre: le rap féministe de BigMama
Le rap a longtemps été un genre masculin. Pourtant, en Italie, les rappeuses sont de plus en plus nombreuses. BigMama, jeune artiste dont le premier LP „Sangue“ est sorti en mars dernier, s’inscrit dans une vague néo-rap féminin. Et féministe. Focus.
A la fin des années 2010, le rap qui cartonne en Italie n’est pas forcément devenu de la pop, mais la pop qui cartonne s’appelle désormais rap. Cette musique, souvent très masculine, doit une belle partie de son succès à une femme: Paola Zukar. D’une, elle a publié, en 2017, l’énorme livre de référence „Rap – Una storia italiana“; de deux, via sa société Big Picture, Zukar est la manager des stars Fabri Fibra et Marracash, mais aussi de Madame. Androgyne dans l’âme, cette dernière ne singe pas les mâles et, pour cette raison, certains pourraient estimer que le rap n’est pas son genre, que Francesca Calearo, de son vrai nom, fait avant tout de la pop. Mais non. Depuis des années, post-modernisme oblige, il n’existe plus qu’un seul „genre“ de musique, de même qu’il n’y a plus de musique „de genre“: c’est un principe, aussi bien qu’un fait, le rap appartient tout autant aux femmes qu’aux hommes.
Rappeuses et railleries
En plus de Madame, de Beba à Rose Villain, en passant par Chadia Rodriguez, Marti Stone ou Fishball, de nombreuses femmes redonnent un sens, voire une nouvelle signification, à l’expression „la voix des sans-voix“ qui, à l’origine, peut définir le rap. Et ce, parce que ce sont des femmes, mais aussi parce que celles-ci parlent de leur statut et de leur condition. En 2019, quand Priestess sort „Brava“, il s’agit d’un concept-album basé sur des figures féminines fortes et inspirantes, qu’elles soient réelles ou fictionnelles. La „femmina alfa“, comme l’avait rappé Baby K, peut être un personnage de dessin animé tel que „Crudelia“ (la Cruella du Disney „Les 101 Dalmatiens“) ou la flapper en noir et blanc „Betty“ Boop. Priestess rend hommage aussi, en vrac, à Brigitte Bardot, Natalie Portman, Margot Fujiko Mine, la femme fatale du manga „Lupin“, Amy Winehouse et Nicole Kidman. Priestess aurait pu, également, mentionner Carri D, La Pina ou Sab Sista, ses „grandes sœurs“ femcee (mot-valise pour „femme“ et „MC“). Car, en Italie, au siècle dernier, c’est un fait aussi, il y avait déjà des rappeuses.
Aujourd’hui, les femmes qui rappent provoquent encore, chez certains, une forme de mépris, sinon des railleries. Le cas de Fishball est intéressant. Tatoueuse, mannequin, membre des Suicide Girls, elle est aussi rappeuse. Quelques individus malveillants ont longtemps colporté la rumeur selon laquelle elle serait un homme, pour cause de „voix grave“ ou d’„attitudes rustres“; dans certains de ses clips, Fishball apparaît, justement, en mâle façon drag king, là où sur „Sexy“, elle martèle: „Je ne suis pas sexy, comme tu voudrais que je le sois.“
Dans l’Italie des seventies, quelques disques féministes sont sortis, comme, en 1975, „Canti di donne In lotte“ du Canzoniere femminista. En 1976, Loredana Bertè chante l’hymne féminin „Meglio libera“ („C’est mieux d’être libre que d’être stupide“), pendant que Meri Franco Lao, musicologue, compositrice et chanteuse, publie „Musica strega“, un livre sur le rôle des femmes dans la musique, et la première étude de genre italienne. En 1976 encore, Gianna Nannini interprète „Morta per autoprocurato aborto“, un titre dans lequel la rockeuse parle d’avortement, alors que, dans la Botte, la loi sur l’IVG sera votée deux ans plus tard. Il ne faut pas oublier le punk, avec Clito ou Kandeggina Gang, des bandes de filles qui, via les riffs de guitares tonitruants et les hurlements, veulent en découdre avec le patriarcat. Depuis quelques années, c’est au tour du rap, soit le genre le plus populaire, de faire sa révolution féministe.
Descendante de la pop féministe
Marianna Mammone, alias BigMama, fait partie de cette révolution. Via les productions électroniques de Crookers ou de Francesco Fugazza, les BPM sont souvent rapides, le flow, incisif, la verve, torrentielle, comme si la rappeuse s’était, trop longtemps, retenue de parler. Si la musique trap est une version „inconsciente“ du rap (il s’agit, par effet de catharsis, de faire la fête et de s’oublier), BigMama redonne ses lettres de noblesse au rap conscient. Les punchlines collent à l’époque, selon ce principe de s’exprimer, de façon percutante, avec peu de mots, mais aussi de parler avec des images fortes, au point de presque faire oublier que ce sont des mots. Ce que la rappeuse fait avec brio. Femme dans le rap, bisexuelle revendiquée, comme son pseudo l’indique, BigMama ne répond pas aux standards „classiques“ de beauté – le quotidien Il Mattino la désigne comme une „icône de la body positivity“.
Chez BigMama, les mélodies sont douces, et les mots „amers“ comme elle le chante. Les lyrics claquent, tout en restant „à tiroirs“, qu’elle parle de féminisme („Ragazzina“) ou de harcèlement („La rabbia non ti basta“). Les paroles ricochent sur „Cento occhi“; le chant est, au début, caressant, pop, puis le morceau bascule; l’artiste répond au catcalling avec plus de virulence, et ce par le rap, le langage adapté pour pointer du troisième doigt les yeux trop baladeurs. Et elle n’est pas seule. Alors que La Niña participe à „Mama non mama“, Myss Keta, la vengeuse masquée girl power, pose sa voix sur „Touchdown“, un titre proche du „Up and Down“ de Billy More. Enfin, qui dit rap dit ego trip. Mais, plutôt que de se gonfler les chevilles, autant se raconter sans filtre. C’est là encore ce qu’accomplit BigMama dans „Veleno“, un morceau piano-voix sur le cancer, qui fait aussi figure d’exutoire pour elle qui, en 2020, a reçu un diagnostic lymphome de Hodgkin. C’est ce qui s’appelle de la mise à nu. Et c’est un fait: dans le rap, à l’époque de La Pina, il y avait, d’un point de vue musical, tout à construire; aujourd’hui, il y a, par le biais du rap, d’un point de vue sociétal, tout à déconstruire.
Extrait de „TooMuch“
Dicono che sono troppo
„Quando parli, parli troppo“
„Quando ridi, ridi troppo“
„Quando mangi, mangi troppo“
Traduction:
Ils disent que je suis „trop“
„Quand tu parles, tu parles trop“
„Quand tu ris, tu ris trop“
„Quand tu manges, tu manges trop“
Extrait de „La rabbia non ti basta“
Animo buono ma riempito d’odio
Per far testa a quello degli altri
Più di un colpo d’arma da fuoco
E ti restava solo incassarli
È facile distruggere i più fragili
Colpire e poi affondare chi è solo
Traduction:
Une bonne âme mais remplie de haine
Pour s’opposer aux autres
Plus qu’un coup de feu
Et tout ce qu’il te restait comme choix, c’était de les encaisser
Il est facile de détruire les plus fragiles
De frapper puis de couler celui qui est seul
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