Konschthal / Eloge du jeu et du design
Pour ceux qui en auraient douté, la Konschthal n’est pas une institution hors sol qui accueillerait un art voué à s’auto-célébrer. Après avoir abrité la première monographie dédiée à l’enfant du pays, Filip Markiewicz, la voilà qui s’intéresse à un élément qui a fourni à la ville sa croissance et son historie: le fer. Il est le fil directeur de deux expositions.
Durant tout l’été, les trois premiers niveaux de la Konschthal seront occupés par une installation ingénieuse et ludique qui mérite le coup d’œil des amateurs d’arts comme de ceux de prouesses techniques. Elle a tout aussi des chances d’attirer les petits et grands enfants qui y reconnaîtront un circuit de billes à grande échelle ou encore les amateurs de situation éloquente. Cette œuvre, pensée par le Danois Jeppe Hein, s’appelle „Distance“. Elle a été montée neuf fois dans le monde depuis sa création en 2004, mais pour la première fois sous cette forme, puisque c’est son destin de s’adapter aux locaux qu’elle occupe pour en proposer une visite impromptue. Le principe est donc celui d’un circuit à billes composé de près de 1.000 mètres de rails. La personne qui pénètre dans l’aire d’exposition déclenche une boule et est invitée à la suivre dans tout l’espace.
„Distance“ propose une expérience physique, avec l’omniprésence du métal et des bruits typiques qu’il produit. Mais c’est aussi une expérience visuelle et sociale puisque la présence de plusieurs boules peut rapidement faire perdre des yeux la sienne, mettent en mouvement la structure et faire entrer en contact avec les personnes qui se déplacent dans le même objectif. Il faut dire que cette expérience s’inscrit aussi dans l’héritage laissé par l’historien néerlandais Johan Huizinga qui en 1938, avec le livre „Homo Ludens“, rappelait l’intérêt social et émancipateur du jeu tout en soulignant ce que des pans entiers de culture lui doivent. Il remettait en avant un aspect de l’homme, qui passe souvent après l’Homo sapiens, l’homme savant et l’Homo faber, l’homme affairé.
Huizinga définissait le jeu comme „une action dénuée de tout intérêt matériel et de toute utilité“. Et c’est en cela qu’il intéressa aussi les situationnistes après-guerre. L’exposition peut aussi être vue comme une de ces situations émancipatrices et le point de départ d’une dérive, chère aux mêmes situationnistes, architecturale d’abord à l’intérieur de la Konschthal mais aussi urbaine. Cette dernière pourrait emprunter le parcours de sculptures qui fait étape devant l’institution culturelle avec un banc réalisé par le même Jeppe Hein dans le cadre de sa série „Modified social Bench“. Les bancs publics déformés dont il s’agit sont conçus pour faire vivre des expériences sociales et physiques. Physique parce qu’il est difficile de s’y installer et d’y trouver le repos habituellement attribué à ce type de mobilier. Et sociale, parce qu’une telle sculpture fait naître la discussion et l’entraide.
Esch dans la culture du design
Si le banc déformé de Jeppe Hein joue sur l’opposition entre œuvre d’art et fonctionnalité, la deuxième exposition qui occupera le quatrième niveau de la Konschthal durant tout l’été insiste sur le caractère fonctionnel d’œuvres relevant davantage de l’artisanat d’art que de l’art contemporain. Les 40 objets présentés ne disposent pas de socle et sont posés à même le sol. La mention du titre de l’œuvre, de son auteur et de son année de fabrication sont inscrites sciemment au sol pour marquer une différence avec l’exposition d’art contemporain. Et pourtant, dans ce deuxième volet qui explore les différentes manières dont le design a travaillé le métal au XXIe siècle, on n’en est jamais bien loin.
C’est Georges Zigrand, designer qu’on avait rencontré récemment au Mudam, comme concepteur de l’exposition „Mirror mirror: cultural reflections in fashion“, qui en a eu l’idée avec le directeur artistique de la Konschthal, Christian Mosar voilà deux ans. Le choix de présenter des œuvres relevant du design a à voir avec l’ancienne fonction des lieux, à savoir un show-room d’aménagement immobilier. La deuxième intention était de le lier au contexte de la région. Et le moins que l’on puisse dire est que l’idée d’associer un métal, sa transformation, au design, a suscité l’intérêt de nombreux prêteurs d’œuvres.
40 pièces d’une vingtaine de designers du monde entier viennent éclairer 16 manières différentes de transformer le métal, de la coulée basique jusqu’aux techniques digitales. Les designers, les ingénieurs et les personnes intéressées par les techniques sidérurgiques y trouveront aisément leur compte. Georges Zigrand évoque aussi la volonté qui fut la sienne de „secouer le concept de design“, en ne présentant pas que des objets léchés, mais aussi des objets qui entreprennent d’aller plus loin que la technique ne le permet.
On entame le parcours avec une chaise fabriquée dans le cadre du projet Can CIty par le studio Swine, qui en 2014, à partir de canettes récupérées dans les rues de São Paolo et au moyen de fonderies mobiles alimentées par de l’huile alimentaire recyclée. On poursuit avec un autre type de récupération, de tubes d’isolation cette fois, que Sigve Knutson détourne pour en faire un totem.
Certains designers fournissent plusieurs œuvres à l’exposition. C’est le cas de l’Anglais Thomas Heatherwick représenté au rayon du martelage, avec une curiosité prêtée par le Comité sportif et olympique luxembourgeois, à savoir l’exemplaire d’une sorte de tulipe qui composait en fait avec celles des 203 autres nations participantes à la grande vasque dans laquelle a brûlé la flamme olympique. On le voit aussi au rayon filature, une chaise aux rondes, mais aussi en fin de parcours, où l’on voit le résultat manqué de son essai de repousser les limites de la technique de l’extrusion. L’objet qu’il en a retiré est présenté comme tel. Par contre, la technique de l’impression par couche, recourant aux techniques digitales, ou la sculpture sur métal, sont parfaitement au point, comme plusieurs objets le démontrent.
Avec cette exposition aux formes intrigantes, il s’agit également, dixit le directeur artistique Christian Mosar „d’inscrire officiellement la Konschthal Esch dans la culture du design contemporain et réattribuer indirectement l’appellation „Métropole du fer“ à la ville d’Esch en raison de son activité dans l’industrie de la métallurgie“. Une publication, disponible en juillet, attestera d’ailleurs de cette volonté.
Infos
Les expositions „Distance“ et „Metalworks – Designing & making“ sont visibles jusqu’au 4 septembre 2022. Ouverture du mercredi au dimanche de 11.00 à 18.00 h (20.00 h le jeudi). Infos: www.konschthal.lu.
- Un livre sur le colonialisme récompensé – Le choix de l’audace - 14. November 2024.
- Trois femmes qui peuvent toujours rêver: „La ville ouverte“ - 24. Oktober 2024.
- Une maison à la superficie inconnue: Les assises sectorielles annoncent de grands débats à venir - 24. Oktober 2024.
Sie müssen angemeldet sein um kommentieren zu können.
Melden sie sich an
Registrieren Sie sich kostenlos