Post-punk / Enola en concert aux Rotondes: vague brûlante
Le post-punk ne peut pas s’éteindre. Avec Enola, projet musical de Ruby Marshall, le genre est plus vivant que jamais. Rendez-vous ce mercredi aux Rotondes.
La new wave ne sera jamais une „old wave“. A l’instar de son versant le plus sombre, la cold wave, elle reste fraîche. Alors qu’il y a certains genres qui n’en finissent plus de revenir et qui illustrent, par leurs sonorités, une certaine idée du rétro, d’autres styles, parce que leur modernisme d’antan n’a pas pris la poussière, n’ont pas besoin d’être réhabilités. Car il n’ont pas arrêté de s’agiter et ainsi d’être vivaces. C’est le cas alors de la new wave, sinon du post-punk, qui marque un „après“ à la manière de points de suspension qu’un grand nombre de musiciens ajoutent, comme des pointillés qui relieraient le présent au passé. La new wave, dans les années 1980, représente le son du futur (synthétiseurs, nouvelles technologies, imagerie) qui reprend les bases de l’atemporel (songwriting pop, sophistication des mélodies, feeling et attitude rock), mais avant, le post-punk, c’est ce que l’on pourrait appeler de la musique de transition.
Enola et l’Australie post-punk
Géographiquement, le post-punk se situe en Angleterre – avec PiL, Joy Division, Wire, Magazine, Siouxsie & The Banshees. Certains Allemands réclament sa paternité. Oui, il y a la Neue Deutsche Welle, mais le fait est aussi que les bases de la new wave jetées par „Low“ (1977), „Heroes“ (1977) et „Lodger“ (1979) sont regroupées sous l’appellation „trilogie berlinoise“. Reste que David Bowie et Brian Eno sont anglais.
Si la France reste timide, pour ne pas dire assez maladroite, en matière de rock, elle a toujours brillé en électronique. La jonction, c’est la new wave, disons le versant le plus synthétique, via Kas Product, Marquis de Sade, Taxi Girl, ou encore Mathématique Moderne avec Edwige, figure du Palace, égérie de la nuit parisienne. Face au no-future du punk, l’avenir se dessine – au présent. Ce n’est pas pour rien que le magazine Actuel baptise cette génération eighties: „Des jeunes gens modernes.“
Enfin, en Italie, cette nouvelle vague déferle tout autant, au début des années 80, en particulier à Milan, Bologne et Florence. La compilation „Milano After Punk 1979-1984“ synthétise l’émulation milanaise, Bologne s’impose grâce à des labels comme Italian Records ou Electric Eye, et Florence est populaire à travers ses poids lourds, Litfiba et Diaframma – ce dernier naît, plus que sur les cendres du punk, l’année du suicide d’Ian Curtis. C’est l’héritage DIY du punk, sauf que là, il ne s’agit pas de faire soi-même, mais de refaire.
Et du côté de l’Australie? Il faut rappeler que The Birthday Party, qui comptent parmi les pionniers post-punk, sont originaires de Melbourne. Tout comme, aujourd’hui, Hexdebt, le quatuor féminin dont les cris s’entendent par-delà leurs frontières. Melbourne encore: Amyl & The Sniffers, certes plus punk, dans la directe filiation des riot grrrls. Melbourne toujours: Enola, soit le projet de Ruby Marshall, performeuse tétanisante autant que songwriter troublante. Avec Maya Alexandra (basse), Joshua Prendergast (guitare) et James Tyrell (batterie), elle perpétue le post-punk sans frontières, qu’elles soient temporelles ou géographiques.
Un pont avec le shoegaze
Le nom Enola renvoie, sans tergiverser, à „Enola Gay“, le tube synth-pop d’Orchestral Manoeuvres in the Dark. Mais il ne s’agit pas d’une bande sautillante comme ladite chanson, non, Enola est sombre, comme le nom du combo anglais qui en est l’auteur. L’ombre de Siouxsie plane. Le phrasé angoissé fait penser à Anne Clark. Les chansons sont des poèmes froids qui coulent en forme de mélodies comme du Rimmel sur les cernes. Et si Enola se situe entre le gris et le noir, la pochette de l’EP „All Is Forgiven“ (2023) a de faux airs – par la couleur – du „Broken English“ de Marianne Faithfull, disque sorti en 1979, soit en plein climax post-punk. En plus du concept de faire sonner une guitare comme un synthétiseur (et vice-versa), Enola intègre, à son tourment, du grunge, du Sonic Youth pour les riffs stridents, du Pixies même, sans oublier quelques échos certains des Pretenders. L’amour est déclamé avec „Miss You“, là où, du côté des thématiques sociétales, il n’y a qu’à se tourner vers … „Waves“.
Enola fait aussi le pont avec le shoegaze. Et là, c’est Cocteau Twins qui revient en mémoire, autrement dit la formation de la jonction entre le post-punk et la dream pop. Chez Enola, il y a des éclats du groupe planant et éthéré d’Elizabeth Fraser, du désespoir liquide, des guitares réverbérées, des arpèges aussi purs et coupants que des bouts de cristaux, une basse qui appuie sur l’estomac et une batterie qui sonne le glagla.
En somme, si le punk tourne le dos au futur, la new wave donne des pistes quant à l’avenir et le shoegaze regarde ses chaussures: le pessimisme, l’innovation et l’introspection forment, jamais deux sans trois, une trilogie. Et ici une synthèse passionnante: il ne s’agit pas de piétiner sur les cendres des aînés, mais bien de continuer de porter la flamme post-punk afin que le feu se frotte à la glace. C’est ainsi qu’Enola fait des étincelles.
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