Festival de Cannes (1) / Entre renouveau et tradition: la 76e mouture du légendaire festival commence
Alors qu’Adèle Haenel s’est retirée du monde du cinéma, celui-ci continuera, à partir d’aujourd’hui, à célébrer sa survie, sa gloire pérenne sur la Croisette. Tandis qu’en France, la fréquentation des salles atteint les normes prépandémiques, Cannes voit le retour de mastodontes comme Harrison Ford en Indiana Jones, de Martin Scorsese et autres Kaurismäki. En un bref tour d’horizon, le Tageblatt présente une mouture divisée entre renouveau et tradition.
Here to stay – les préparatifs digitaux
On se souvient des années prépandémiques, où les journalistes discutaient entre eux du fameux colour code des accréditations festivalières, qui menèrent à des discussions hautes en couleurs et riches en absurdités, du genre: „T’as une accréd’ rose jaune pastille, la chance.“ „Et toi?“ „Bah du bleu“. „Ah, mince, mon pauvre. Allez, bon courage.“
Car à Cannes, tous les journalistes ne sont pas égaux. Et certains sont encore moins égaux que d’autres, de sorte que la couleur de ton accréditation déterminait dans quelle file d’attente tu avais le droit de patienter: les roses jaunes pastille entraient avant les roses précédant les bleus qui, au moment de pénétrer dans les salles, devaient déjà grappiller les quelques places restantes. Quant aux autres couleurs, n’en parlons même pas – pour les séances de la compétition officielle, c’était galère.
Depuis la digitalisation des files d’attente, d’abord introduite depuis la pandémie pour favoriser la distanciation sociale et le sans contact puis devenue la norme festivalière – c’est ce que font toujours les états d’urgence: introduire des mesures extraordinaires qu’on oublie d’oublier par la suite – à Cannes ou à Berlin, les hiérarchies sont devenues virtuelles, donc moins lisibles – car il y a bien évidemment plus de disponibilités en ligne, et pendant plus longtemps, si ton accréditation est dotée d’un code couleur plus haut en rang.
C’est bien pour cela, pour maintenir le flou hiérarchique, qu’on a feint d’omettre de remettre en place l’ancien système alors que la pandémie est définitivement finie – et que les organisateurs peinent visiblement à mettre en place un système qui fonctionne.
Cette année-ci, les billets sont à réserver quatre jours en amont des projections, ce qui fait que votre serviteur s’est levé chaque matin, depuis vendredi dernier, à 6 h 45 pour ensuite taper comme un forcené sur la touche refresh comme ces nouveaux exploités du digital qu’on voit, dans „Effacer l’historique“, booster les profils Uber en likant à tout-va, s’écorchant les doigts sur leurs claviers, la billetterie ayant déjà connu, dimanche matin, un crash notoire de plus d’une heure. Bref, avec la réservation digitale, on est déjà épuisé avant que le festival n’ait commencé.
De longue haleine – les coproductions luxembourgeoises
Cette année encore, l’industrie du film locale frappe fort, avec pas moins de cinq long-métrages où le Grand-Duché est plus ou moins impliqué, dont trois coproductions des Films Fauves, la société de production qu’on connaît notamment pour „Gutland“ de Govinda van Maele et qui présentera donc, à Cannes, trois films disséminés sur trois sélections: il y a d’abord, dans Un certain regard, „Los delincuentes“ de Rodrigo Moreno, qui raconte l’histoire de deux hommes liés par un projet aussi fou que criminel, puisqu’ils projettent de voler au coffre le salaire de leurs vies.
Alors que le film de Moreno dure trois heures, celui de Wang Bing, „Jeunesse“, le dépasse encore d’une bonne demi-heure, dont c’est la première partie d’une chronique de la vie de jeunes ouvriers d’ateliers textiles qui totalisera presque dix heures pour ce qui pourra bien être une œuvre-somme d’un documentariste habitué à la fréquentation du festival.
C’est d’ailleurs un des rares documentaires à réussir une entrée en compétition officielle, qui fait écho à celle de „Sur l’adamant“ de Nicolas Philibert à la Berlinale, où cela avait été, là aussi, le seul documentaire de la compétition et qui, sur le coup, fut récompensé par l’Ours d’Or.
Quand on sait que „Jeunesse“ fait déjà pas mal parler de lui dans la presse internationale, il est permis d’espérer une Palme co-luxembourgeoise – même si cela parachèverait de rendre mégalo la petite industrie cinématographique dont Xavier Bettel (DP) vante, une fois par an, sur la Croisette, le rayonnement international (avant d’oublier plus ou moins qu’elle existe).
Dernier fauve en date, „Conann“ de Bertrand Mandico nous fera revisiter le personnage éponyme de l’épopée fantastique Conan le barbare en version queer pour l’une des sélections les plus osées de l’ex-Quinzaine des réalisateurs, qui s’appelle désormais, par souci de parité, Quinzaine des cinéastes.
Pour ce qui est des autres coproductions luxembourgeoises, tout aussi intéressantes, notons la présence de Marie Jung dans „Acide“, de Juste Philippot, en Séances de Minuit, qui raconte l’histoire d’une famille séparée qui devra, face à des pluies acides s’abattant sur la France, s’unir à nouveau et, last but not least, „Lost Country“ de Vladimir Persišić: cette coproduction Red Lion raconte l’histoire du jeune Stefan qui, alors que les manifestations estudiantines contre le régime de Milošević se multiplient, devra mener une révolution plus intime puisqu’il réalise que sa mère, porte-parole du pouvoir, est complice des crimes du régime.
Et pour tous ceux et celles qui auront envie d’un petit air de Croisette en ce mai grand-ducal pluvieux: alors que le Luxembourg s’invitera à Cannes pour la sempiternelle journée luxembourgeoise samedi prochain, le Grand-Duché pourra, lui, goûter un petit air de festival ce soir, puisque le film d’ouverture, „Jeanne du Barry“ de Maïwenn, sera projeté à l’Utopia en même temps qu’il ne le sera à Cannes.
De grands noms, mais pas (encore) de parité – la compétition officielle
On pourrait reprocher, une fois encore, à la compétition cannoise de faire la part belle aux grands noms qui sont évidemment aussi des noms de vieux mâles: avec Wim Wenders, Wes Anderson, Ken Loach, Aki Kaurismäki, Nanni Moretti, Mario Bellocchio ou encore Hirozaku Kore-eda, il y a certes de très grands cinéastes (souvent déjà palmés) à l’affiche, au point qu’on a par ailleurs relégué hors compétition un Scorsese dont la longueur, après son „The Irishman“, fait un peu peur – mais il y a une fois encore un décalage entre les vieux maîtres, dont on connaît déjà le langage filmique, et les cinéastes nouveaux, ainsi qu’un déséquilibre entre réalisateurs et réalisatrices, avec quatorze films réalisés par des hommes et sept par des femmes.
Quand on se rappelle que l’année dernière, on avait retenu l’assez navrant „Frère et sœur“ d’Arnaud Desplechin au détriment de films francophones féminins percutants comme „Les enfants des autres“ de Rebecca Zlotowski ou „Saint-Omer“ d’Alice Diop, le constat est d’autant plus désolant que ce tiers de films féminins est, pour Cannes, une première.
On peut cependant se rassurer un peu en consultant les chiffres du collectif 50/50, selon lesquelles la moyenne d’âge des réalisatrices à Cannes est de 48 ans là où celle des hommes atteint celui de la retraite (65), augurant d’une présence féminine qui, logiquement, augmentera dans les années à venir.
Admettons cependant que, malgré tout ce que nous venons de trouver à redire, cette compétition s’avère d’ores et déjà prometteuse, avec notamment les long-métrages de Kaouther Ben Hania („Les Filles d’Olfa“, sur une famille dont deux adolescentes ont rejoint Daesh) et Ramata Toulaye-Sy („Banel et Adama“, seul premier long-métrage de la compétition, qui raconte une histoire d’amour au nord du Sénégal), mais aussi les films de Justine Triet („Anatomie d’une chute“, un thriller conjugal), d’Alice Rohrwacher („La Chimera“) ou de Catherine Breillat („L’été dernier“, sur la liaison d’une quadragénaire avec un garçon de 17 ans), qui promettent des long-métrages féminins forts.
Notons encore qu’il y a d’ores et déjà matière à polémique: Jonathan Glazer, dont on se rappelle l’excellent „Under the Skin“, adapte le très provocateur „The Zone of Interest“ de Martin Amis, qui raconte comment un officier nazi tombeur de femmes séduit l’épouse fictionnalisée de Rudolf Höss (elle s’appelle ici Hannah Doll) – cette comédie romantique acerbe sur fond de camp de concentration, qui thématise entre autres le cynisme des nazis, a déjà créé la controverse lors de la parution du roman d’Amis.
Chez Corsini, de retour à Cannes avec „Le retour“, la polémique est extradiégétique, puisque la production du film était entourée de différentes plaintes, dont une accusation d’agression sexuelle envers une actrice mineure, au point que le CNC a suspendu une aide d’un demi-million d’euros. Cela n’empêcha pas Thierry Frémeaux de valider sa sélection – tardive – en compétition officielle.
Enfin, ouvrir avec un film dont un des rôles principaux est incarné par Johnny Depp après son acquittement controversé et un procès qu’il réussit à transformer en comédie tant il semblait y rejouer certains de ses rôles fétiches, dont le camé de „Fear and Loathing and Las Vegas“, paraît là encore sujet à controverse – surtout quand on sait que la carrière de Depp ne paraît qu’être boostée après son procès …
- Barbie, Joe und Wladimir: Wie eine Friedensbotschaft ordentlich nach hinten losging - 14. August 2023.
- Des débuts bruitistes et dansants: la première semaine des „Congés annulés“ - 9. August 2023.
- Stimmen im Klangteppich: Catherine Elsen über ihr Projekt „The Assembly“ und dessen Folgeprojekt „The Memory of Voice“ - 8. August 2023.
Sie müssen angemeldet sein um kommentieren zu können.
Melden sie sich an
Registrieren Sie sich kostenlos