Artistes entre Luxembourg et Berlin / Eugénie Anselin: „Durant mon accouchement, j’étais dans un état extrême“
Actrice de cinéma et de théâtre multilingue, Eugénie Anselin est également l’autrice de deux one-woman-shows qu’elle a interprétés seule en scène, de deux courts-métrages et d’une pièce de théâtre, „Dammriss“, à laquelle elle travaille actuellement. Depuis quelques années, elle partage son temps entre Luxembourg et Berlin, une ville qui nourrit ses rôles autant que ses écrits.
„Curieusement, je ne connaissais pas Berlin avant de m’y installer. Mais j’ai fait le conservatoire à Zürich, en langue allemande, ce qui m’a amenée vers les scènes en Allemagne et au Luxembourg. J’ai également rencontré mon agente, berlinoise, qui était venue voir les auditions de fin d’année du conservatoire et m’a proposé d’intégrer son agence. Je me suis donc demandé où je voulais m’installer en tant que comédienne. Je ne voulais pas rentrer dans un ensemble, je voulais rester ,Freischaffende‘, indépendante, car cela me permet de choisir mes projets de théâtre mais aussi de continuer à faire du cinéma et de la télévision. Avec mon compagnon, on cherchait un endroit où poser nos bagages. On a commencé par Paris, mais ce n’est pas ma ville. J’adore y être pour travailler, mais pour y vivre, c’est assez stressant. Il me fallait un lieu où je me sente bien, pour pouvoir développer mes propres projets entre deux tournages ou entre deux pièces, et pour les moments de répits. A Berlin, il y a moins de pression, la ville est beaucoup moins dense, les apparts sont plus grands, il y a plus de place. Si t’as envie de faire tes courses en pyjama, tu le fais. Le style de vie berlinois nous convenait bien – c’est une bonne alternative à notre rythme de travail, qui est assez soutenu. Mais la majorité de mes projets passent par le Luxembourg, et je partage mon temps entre ici et là-bas.“ Qu’elle travaille un nouveau rôle ou écrive un nouveau texte pour la scène ou l’écran, Berlin nourrit l’inspiration d’Eugénie Anselin. „Il y a une grande mixité culturelle et sociale. Dans notre immeuble, il y a des gens de tous les âges, de toutes les origines. Cela me permet de me sentir moins enfermée dans une case. J’arrive à mieux m’imaginer dans différentes vies. Quand j’écris ou quand je prépare un rôle, c’est important pour moi de pouvoir me projeter. Je vais me balader, j’observe les gens. Et puis l’Histoire est très présente dans la ville. Il y a tous les musées, les marques de la guerre. Par exemple, quand je préparais mon rôle de snipeuse soviétique pour ,Lost Transport‘ de Saskia Diesing, je suis allée au Teufelsberg, me cacher dans les feuillages de la forêt et m’imaginer dans mon rôle“, rit-elle.
Détermination, savoir-faire et organisation
La vocation de comédienne a commencé tôt chez Eugénie Anselin, avec des ateliers d’improvisation et des cours de clown auxquels elle se rend en famille. A dix ans, elle joue le rôle d’une petite fille mourante et de son âme, dans un court-métrage de Fred Neuen. Mordue, elle se met à assister à grand nombre de représentations au Théâtre des Capucins, attend les comédiens à la sortie des artistes pour obtenir des autographes. Méthodique, elle s’empare du bottin mondain à 14 ans pour y chercher le numéro de Marc Olinger ainsi que d’autres directeurs de théâtre. Elle les appelle sur leur téléphone fixe pour leur signifier son envie de jouer, et rencontre Fabienne Zimmer, qui cherche justement une personne de 15 ans pour la pièce qu’elle monte au TOL. Eugénie Anselin décroche son premier rôle sur les planches. Bonne élève, elle hésite cependant à se diriger vers des études de médecine.
„J’adorais tout ce qui était biologie. Mais je me suis dit que je pourrais toujours jouer un médecin, alors que l’inverse, faire le clown dans la salle d’opération, serait plus compliqué!“, plaisante-t-elle. D’entrée, Eugénie Anselin développe un sens de l’organisation qui lui servira pour sa carrière d’indépendante: „Je faisais des listes d’adresses mail que je trouvais sur des sites de castings. Je demandais à ma mère de m’aider à rédiger des candidatures. On faisait des séances photos dans notre jardin, je m’appuyais contre un tronc d’arbre dans une posture absolument pas naturelle“, rit-elle. Après son bac, Anselin se dirige vers le conservatoire. Elle tient à avoir un bagage académique afin d’être habilitée à donner des cours un jour et le cas échéant, „mais surtout pour acquérir une technique et des outils. Et puis se dire qu’on a été admise dans un conservatoire, qu’on a fait ses cinq ans d’étude, qu’on est diplômée, ça donne une certaine confiance. Un acteur, c’est comme un violoniste. Il a beau avoir du talent, s’il ne travaille pas sa technique … On pense souvent qu’il suffit d’être inspiré, mais il y a beaucoup de choses qu’on fait techniquement. J’ai besoin de ces éléments. Ils étaient une condition pour moi.“
Parentalité et incarnation
En ce moment, Eugénie Anselin écrit „Dammriss“, une pièce qui sera jouée au Théâtre des Casemates en juin 2025. Elle porte sur le fait de devenir parent, et sur les répercussions qui ont lieu au sein d’un couple au moment de l’arrivée de l’enfant. „J’ai reçu la bourse Edmond-Dune en 2023. J’ai commencé par faire des recherches, j’ai beaucoup lu, notamment des auteurs féministes, sur la maternité, sur le fait de devenir parent. Je suis notamment allée voir la pièce de Claude De Demo au Berliner Ensemble: ,Motherfuckinghood‘. J’ai écouté un grand nombre de podcasts sur la thématique, discuté avec beaucoup de personnes, pas mal d’amis qui sont devenus parents. Et on a fait énormément d’audios avec mon conjoint. Dès qu’on vit une situation qui pourrait être drôle ou intéressante, j’allume l’enregistreur de mon téléphone. A présent je les retranscris, je les adapte et les incorpore à mon texte. J’écris depuis un mois car avant cela, j’ai été assez prise par les tournages, répétitions et la promotion des derniers films. J’adore ce moment de recherche.“
Quand elle prépare un rôle, Eugénie Anselin se nourrit de la même façon. „Surtout quand je tourne des films d’époque. Par exemple, pour le rôle de Vera dans le film ,Lost Transport‘, j’ai lu de nombreuses biographies, des journaux intimes de jeunes femmes qui avaient combattu pour l’URSS. J’adore comprendre les limites qui existaient à cette époque-là, car cela m’aide à appréhender le courage de mon personnage, ses aspirations, ses rêves. Mais ensuite, j’aime bien aussi oublier tout ce que j’ai lu et trouver le corps du personnage. Une fois qu’on a le corps, le reste découle – la voix, les émotions.“ Par exemple, pour le rôle de la sniper, elle passait ses journées immobile et cachée, allongée sur le ventre. Forcément, ça a un impact sur sa façon de parler, sa manière d’être.
Durant mon accouchement, j’étais dans un état extrême, comme une profonde hypnose. C’est un état que je peux rechercher sur scène. (…) Certains personnages nécessitent cet engagement absolu qui permet un lâcher-prise et l’oubli total du jugement extérieur – qu’il vienne des partenaires ou du public.
Cette recherche, ce rapport au corps a-t-il changé depuis qu’Eugénie Anselin est devenue mère? „C’est l’un des événements les plus marquants de la vie. Le corps a une mémoire. Le premier projet que j’ai joué après mon accouchement était Andromaque, de Racine. C’était deux mois après la naissance de ma fille. J’étais Hermione, un personnage qui traverse toutes les émotions – l’envie de tuer, d’aimer. Tout est brut, grand. Le fait d’avoir accouché m’a beaucoup aidée. Jouer le désir de tuer quelqu’un, de vouloir prendre une vie, quand on sait ce que c’est que de la donner, c’est très … On peut parfaitement jouer ce rôle sans avoir soi-même donné naissance, mais personnellement, le fait d’être devenue mère m’a aidé. Il m’a donné accès à une grande force. Durant mon accouchement, j’étais dans un état extrême, comme une profonde hypnose. C’est un état que je peux rechercher sur scène. D’autres rôles peuvent être joués beaucoup plus légèrement, bien heureusement. Mais certains personnages nécessitent cet engagement absolu qui permet un lâcher-prise et l’oubli total du jugement extérieur – qu’il vienne des partenaires ou du public. C’est un idéal à atteindre: être complètement dans le moment, présente, réagir à ce qui arrive sur scène, à ce qu’on donne comme réplique, à ce que les autres corps font avec le nôtre. Et quand on peut être là, juste dans la réponse et l’interaction, c’est formidable. Ce n’est pas un état qu’on peut atteindre absolument tous les soirs, raison pour laquelle il est si important de pouvoir le reproduire de façon technique. Mais jouer Racine alors que j’étais encore en train d’allaiter a été une expérience physique incroyable.“
Série
Cet article fait partie de la série „Artistes entre Luxembourg et Berlin“, dans laquelle notre correspondante Amélie Vrla présente des artistes luxembourgeois-es vivant à Berlin.
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