Le 19 novembre 2024, Hubert Védrine sera reçu à l’Abbaye de Neumünster par l’Institut Pierre Werner, dans le cadre d’un entretien littéraire assuré par le journaliste et présentateur William Irigoyen au sujet de son dernier ouvrage, „Camus, notre rempart“ (récemment paru aux éditions Plon). Ce livre-témoignage, de facture très personnelle et d’obédience philosophique, retrace, sur plusieurs décennies, le lien très étroit que l’auteur a tissé avec celui qu’il considère comme un modèle à suivre, en ce qui concerne à la fois ses idées, ses engagements philosophiques et sa vie de philosophe. Pour ce faire, Hubert Védrine convoque moult souvenirs marquants et figures emblématiques telles que par exemple René Char et Jean Daniel.

Auprès de Mitterrand et Chirac 

Né en 1947, Hubert Védrine fut conseiller diplomatique, porte-parole et secrétaire général de l’Élysée durant les deux septennats de François Mitterrand. En 1997, sous la présidence de Jacques Chirac, il entre au gouvernement de Lionel Jospin comme ministre des Affaires étrangères. Sa passion étant aussi la littérature, il publie en 2021, aux éditions Plon, le „Dictionnaire amoureux de la géopolitique“. En 2024, il dirige le volume intitulé „Grands Diplomates“ (paru aux éditions Perrin), dans lequel il brosse le portrait de vingt diplomates et concepteurs de la politique étrangère célèbres, et ce du XVII^e siècle à nos jours.

Avec „Camus, notre rempart“, Hubert Védrine revient sur le devant de la scène littéraire en livrant non pas un énième essai sur Albert Camus, mais un ouvrage présentant et faisant revivre „son“ Camus en commençant au demeurant par évoquer, dans le premier chapitre intitulé „Le Choc“, son décès, survenu le 4 janvier 1960: „Nous sommes le 4 janvier 1960, dans l’après-midi. J’ai un peu moins de treize ans. (…) Flash spécial: Albert Camus s’est tué dans un accident de la route“ (p. 7) – dans la mesure où la Facel Vega que conduisait Michel Gallimard a explosé à 13 h 55 contre un platane, à 24 kilomètres de Sens. Les neuf chapitres qui constituent le livre (du premier, „Le Choc“, au dernier, „Tentative de dialogue uchronique“) sont, dans la même optique, irrigués par d’innombrables anecdotes, faits, réminiscences qui peuplent la mémoire de l’auteur. Ce qui frappe le lecteur, c’est „l’engouement précoce“ animant Hubert Védrine qui voit en Camus un „sésame“ ouvrant de nombreuses portes sur la vie, le monde, la littérature et la philosophie. Qu’il s’agisse de la „magie de son verbe“ ou de la „beauté de sa voix envoûtante“, de ses œuvres qu’il découvre et lit progressivement, Hubert Védrine est „saisi (…) par la simple beauté et la sensualité de ses mots méditerranéens“ (p. 13).

Le voyage à Tipasa que l’auteur entreprend en 1965 est tant un ravissement qu’une révélation. La „mer, campagne, silence, parfums de cette terre“, tout cela s’oppose aux „villes riches et hideuses“ de la métropole. Après un temps d’éloignement destiné notamment à faire carrière au cœur du pouvoir (mitterrandien), Hubert Védrine découvre le monde de la littérature en autodidacte: „Je vivais en lisant et lisais en vivant, hors des sentiers scolaires“ (p. 33). Il devient un grand lecteur, interrogé d’ailleurs par François Mitterrand sur ses lectures („Que lisez-vous en ce moment ?“) – le président et seul „exemple contagieux“ étant un modèle pour lui.

La figure du poète français René Char ainsi que la correspondance qu’il entretint avec Camus de 1946 à 1959 sont des éléments marquants que l’auteur se plaît à développer, et ce d’autant plus qu’il a eu l’opportunité de fréquenter René Char. Un autre personnage charismatique ayant influencé l’auteur est Jean Daniel, son „ intercesseur chamanique“, comme il se plaît à l’appeler. Lourmarin, où Camus est enterré, fait également partie des évocations poignantes du livre: „Esprit et mélancolie des lieux. Ce n’est que plus tard, quand j’étais ministre, que je me suis rendu sur la tombe d’Albert Camus au cimetière de Lourmarin“ (p. 65).

Dialogue uchronique

L’ouvrage d’Hubert Védrine fourmille de rappels et d’analyses livresques qui ne manqueront pas d’inciter le lecteur (d’hier et d’aujourd’hui) à se replonger dans les œuvres du grand homme, qu’il s’agisse du „Premier Homme“, des „Discours de Suède“ (qui rappellent entre autres que tout artiste est „embarqué“ dans la galère de son temps), de „La Peste“ (décrivant une lutte contre tous les totalitarismes), ou encore de „L’Envers et l’Endroit“. L’affrontement Sartre – Camus (qui est un des débats philosophiques majeurs de l’immédiate après-guerre) occupe de belles pages rappelant ce qui, philosophiquement et politiquement, opposa les deux hommes embarqués dans une controverse posant des questions toujours actuelles (e.g. Camus face à la „cancel culture“ de son époque).

Enfin, dans sa tentative de dialogue uchronique, Hubert Védrine engage un dialogue avec Camus en se demandant ce que ce dernier dirait du monde d’aujourd’hui. Cette démarche est l’occasion de méditer les principaux messages de ce philosophe (qui continue à jouer le rôle de conscientisateur de notre époque) s’agissant de l’intelligence artificielle, de l’éducation, de la vision de l’Europe, de la politique étrangère, etc.

En définitive, Hubert Védrine signe un ouvrage tant analytique que testimonial très stimulant, qui permettra certainement à William Irigoyen de mener un entretien riche et nuancé avec son invité, intimement convaincu que Camus demeure à jamais un phare polycéphale pour notre société, nos questionnements et nos valeurs.

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