Luxemburgensia / Irradiations
Sorte de thriller d’anticipation qui se déroule dans un Luxembourg irradié, „Luxembourg Zone rouge“ de Pierre Decock réalise le cauchemar nucléaire que chaque Luxembourgeois a dû concevoir un jour en pensant aux nouvelles inquiétantes en provenance de Cattenom. S’il manque d’audace et fait preuve d’un manque de patience dans le développement de ses personnages et de son intrigue, le roman combine récit divertissant et avertissement écologique dans une puissante évocation d’un pays dévasté.
Mike Olinger vit dans un centre d’accueil situé dans la Marne où sont parqués des survivants luxembourgeois ayant fui leur pays après une catastrophe nucléaire sur le site de Mortange – une fictionalisation à peine camouflée de la centrale de Cattenom, dont chaque habitant du Grand-Duché connaît l’état vétuste. Par une mauvaise conscience toute relative, l’Etat français a laissé au peuple luxembourgeois une parcelle de son territoire où les exilés se reconstruisent tant bien que mal une existence dans un décor primaire et maussade.
Parce que son père l’a investi, avant qu’il ne meure des séquelles d’une exposition prolongée aux radiations, d’une mission – récupérer des documents qu’il gardait dans leur maison –, Mike décide de quitter Combly, expliquant aux siens qu’il va rendre visite à un oncle vivant dans le camp de Wiltz alors qu’il compte bien plutôt aller investiguer en zone irradiée. Equipé entre autres d’une boussole, d’un vieux guide touristique du Grand-Duché et d’un compteur Geiger „récupéré dans les surstocks de l’armée française“, le narrateur se retrouve dès le départ du roman dans un bus qui le ramène à Longuyon. Dans cette „dernière ville avant la zone d’exclusion“, se retrouvent les Français de Thionville et de Metz qui n’ont pu se résigner à quitter la région.
C’est à partir de là que Mike devra biaiser pour éviter les départementales fermées et les routes sous contrôle. Grâce à une pince coupante, il passe la grille protégeant d’abord la zone jaune, dite „modérément dangereuse“, pour se rapprocher, en traversant des villes désertes – Differdange, Esch-sur-Alzette, la capitale –, de plus en plus proches de la zone rouge dans laquelle se situe sa maison d’enfance. Au cours de son parcours, il rencontrera une vieille ayant refusé de quitter son pays, des pilleurs des pays de l’Est et l’énigmatique Léa, qui l’assistera brièvement dans ses péripéties.
Vacances forcées
L’intrigue du roman est assez quelconque – sans trop vous en dire, l’on comprend assez vite que le père investiguait du côté des irrégularités sécuritaires qui taraudaient la centrale nucléaire – et le développement de l’intrigue et de ses personnages sont, après des pages d’exposition réussies, expédiées un peu trop rapidement – la rencontre érotique avec Léa se consume puis se finit en une dizaine de pages, l’intrigue principale se déroule à peine sur plus de pages, comme si l’auteur, ayant suivi son personnage traverser la zone irradiée, avait oublié l’intrigue au profit de la contemplation d’un pays en ruines.
Pourtant, si l’on persiste à suivre Olinger dans ses péripéties, c’est précisément que les quelque 70 pages d’exposition (pour un roman qui en fait 98) à travers un Luxembourg abandonné, où ne persistent plus que la faune et la flore, dégagent, grâce à une écriture précise quoique sans surprises (ce sont surtout les tentatives d’humour qui tombent à plat), quelque chose de fascinant – le narrateur ayant quitté son pays natal très tôt, c’est un regard à la fois naïf et nostalgique qu’il promène sur les cathédrales industrielles du Sud, les bâtiments de la capitale dont le béton s’effrite, le Mullerthal dénué de touristes.
Dans les meilleurs moments, l’on pense à „The Road“ de Cormac McCarthy, la puissance verbale en moins, les repères visuels concrets en plus. Comme par hasard (le roman fut publié bien avant la pandémie actuelle), ces images d’abandon rejoignent celles, bien réelles, d’un pays à l’arrêt il y a quelques semaines encore, et quand Decock décrit comment les habitants, après l’explosion des réacteurs, pensaient pouvoir retourner à la normale après quelques semaines de „vacances forcées“, l’on se met là encore à tisser des liens avec la situation actuelle.
Si le roman postapocalyptique a le vent en poupe, il est peu commun de lire un roman de la fin du monde situé au Luxembourg tant ce pays paraît, avec son aisance matérielle débutée lors de l’ère industrielle puis continuée grâce à l’essor du secteur bancaire, à l’abri de tous les dangers. C’est peut-être une des raisons pour lesquelles le récit de science-fiction (dont le roman postapocalyptique fait partie) est si rare au Luxembourg, alors que les romans policiers pullulent. Car le roman policier, dans sa conception classique, ne remet pas en cause l’ordre social – l’enquêteur est là pour restaurer un déséquilibre –, alors que le roman de science-fiction fait preuve d’un basculement ontologique et, ce faisant, montre la précarité du monde dans lequel nous vivons.
En extrapolant à partir d’une peur inconsciente nationale, Decock prend comme point d’appui un refoulé collectif. Là réside l’ingéniosité de sa situation du départ, qui fait que le lecteur le suive avec plaisir dans son récit, alors que l’intrigue policière – Decock est aussi l’auteur de romans policiers – paraît greffée sur ces pages plus contemplatives de façon un peu artificielle. L’allégorie écologique perd alors de sa force, puisque l’auteur prend le lecteur par la main en lui expliquant de façon trop exhaustive les dangers du nucléaire et de l’insouciance de l’industrie nucléaire française. Or, en suivant le narrateur à travers un pays dévasté, on l’avait déjà compris.
Pierre Decock, Luxembourg Zone rouge, Op der Lay, ISBN 978-2-87967-239-7
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