Luxemburgensia / Jeter du lest: „Parfum de chasteté“ de Claude Schmit
Alors que la France est agitée par les Gilets jaunes, un journaliste de gauche abandonne son espoir d’améliorer le monde et veut retrouver la foi. Radical dans son approche qui consiste à plonger le lecteur dans un univers archaïque et misogyne, le septième roman de Claude Schmit n’arrive pas à trouver, entre description d’un monde séculaire qui court à sa perte et embourbement dans un mysticisme philosophique, de voix médiane.
En se réveillant un matin après des rêves agités, Robert Thréard se retrouva métamorphosé en un fervent croyant catholique. Peu après son éveil, il était à genoux, courbé dans une posture grotesque, et priait à voix haute dans une langue archaïque, ânonnant des mots vidés de leur sens dans un monde sécularisé où le catholicisme ne fait plus que la une des médias quand on parle de la pédophilie de ses prêtres.
Certes, la transformation de Robert Thréard, journaliste d’un quotidien de centre gauche réputé, en croyant fervent n’est pas aussi radicale que celle que subit Gregor Samsa, mais le lent cheminement vers la foi que décrit Claude Schmit dans son septième (!) roman paraîtra à sa femme Jeanne, une juriste réputée, et à sa fille Myriam, „éternelle rebelle tourmentée, éprise de rock et de chevaux“ tout aussi incongru et cauchemardesque que la métamorphose décrite dans la nouvelle de Kafka.
Car la vie de Robert Thréard, la „meilleure plume de Paris“, l’un des éditorialistes les plus lus par l’intelligentsia parisienne, bascule du jour au lendemain quand il ne se retrouve plus parmi l’„autosatisfaction débonnaire“ de ses collègues „bouffeurs de curés“ et qu’il commence à se remémorer ces dimanches à l’église où enfant déjà, „la magie des cierges vacillants, les images de la Passion, les statues des Saints“ le fascinaient. Rôdant de plus en plus souvent autour de la tombe d’Abélard et Héloïse au Père-Lachaise, il ne tardera pas à être fasciné par le célèbre échange épistolaire entre ces deux amants tourmentés par l’incompatibilité entre passion charnelle et amour divin (pour faire court).
C’est cette fascination qui lui fera rencontrer l’énigmatique père Emmanuel et qui, au bout d’un pèlerinage vers Compostelle, le fera entrer peu à peu chez les adévistes, sorte de groupuscule catholique qui prône la nécessité d’une „contre-culture chrétienne“ au centre de laquelle seraient inscrites „la pauvreté, la chasteté et l’obéissance“ – et qui s’est accessoirement spécialisé dans le vol de reliques et d’œuvres d’art inspirées par la Chute.
Sous le charme
De plus en plus attiré par l’ascétisme, pris dans le tourbillon charismatique d’un ecclésiastique qui prône l’abstinence sans pour autant la vivre – quelques pages sulfureuses dans les recoins de Notre-Dame confirment à notre apprenti catholique que son mentor est un personnage plus ambigu qu’il n’y paraît –, Thréard abandonnera sa vie séculaire, se mettra à écrire une fiction autour de la vie d’Astrolabe, le fils d’Héloïse et d’Abélard, et s’exercera à pratiquer la charité chrétienne en accueillant Hamidou, un jeune immigré nigérian qui ne mettra que quelques heures à lui voler vêtements, ordinateur et argent.
L’intrigue qui suit ressemble à une version philosophique du „Da Vinci Code“ augmentée d’un conte mystico-spirituel façon Paulo Coelho, le tout étant mâtiné de références à des auteurs comme Sade, Diderot (pour l’érotisme clérical) ou Rabelais (l’agitation des villes dans le récit enchâssé) et ponctué d’innombrables prêches et de réflexions philosophiques sur la foi, la corruption de l’homme par la femme, l’abstinence et la croyance.
Restant fidèle au polar philosophique, où l’intrigue est souvent un prétexte à une plongée dans le monde des idées, Claude Schmit prend ici le contre-pied de ces fictions qui, comme le récent „Grâce à dieu“ de François Ozon, se focalisent exclusivement sur les innombrables scandales sexuels qui ont fini par décrédibiliser l’Eglise catholique pour s’intéresser à un monde plus divisé que jamais entre un matérialisme féroce et le regain de mysticisme.
Malheureusement, cela reste souvent assez binaire, la gauche critique étant ici caricaturée au plus haut point: la condamnation du „rouleau compresseur d’une modernité naissante, féroce et intransigeante, qui a certes permis de mieux vivre, mais ne tolère aucune alternative à son projet mortifère“ est non seulement sans appel, mais pétrie de clichés, de lieux communs, de raccourcis faciles. Là où Schmit passe des pages et des pages à développer les concepts de la foi catholique, l’ennemi séculaire est diabolisé en de courts passages répétitifs où se dessine une France au bord du gouffre.
La tentation de Robert Thréard
Contrairement à „La prière“ de Cédric Kahn, qui montrait de façon nuancée comment un adolescent drogué égaré trouvait une deuxième chance à travers le recueil et la foi, contrairement aussi aux „Adieux à la nuit“ d’André Téchiné, qui évoquait la radicalisation d’un jeune homme, „Parfum de chasteté“ tourne autour d’un homme éduqué, intelligent, doté d’une vive rationalité et d’une expérience du monde. Et c’est là que le bât blesse: alors que l’insécurité d’adolescents souvent issus d’un milieu défavorisé permettait à Kahn et à Téchiné de brosser des portraits réalistes, le lecteur a du mal à comprendre pourquoi Thréard est ému, qu’il fond en larmes, qu’il tombe en pâmoison dès que père Emmanuel, un salopard parfait, prend la parole.
Ceci est renforcé par le fait que le personnage de Thréard manque d’épaisseur et qu’on a du mal à comprendre son aveuglement soudain – au-delà de sa fascination de jeunesse pour les dimanches de messe, le roman ne propose d’un court et elliptique retour sur son passé où il apparaît que son attrait pour la gauche ne dérivait que d’une mésentente avec le nouveau compagnon de la mère: „Alors, on se sent vite à part. De trop, pour toujours. Voulant se rendre utile, il a viré alors à gauche, pour hurler la pourriture du monde, avec du punk, du gothic et du metal.“ C’est simple – entre une gauche qui ne fait que brailler et le repli sur le calme de la foi, il ne semble pas y avoir d’alternative.
Ce qui gêne encore, c’est le parti implicite pris par le roman. Alors que Claude Schmit retrace avec une délectation stylistique qui effraie tout autant qu’elle impressionne le discours du père Emmanuel – un discours teinté de misogynie, de xénophobie latente, de colonialisme déguisé en charité chrétienne – le roman ne laisse presqu’aucune place aux voix féminines ou étrangères.
Info
Claude Schmit, Parfum de chasteté, 2019, Editions Phi, 340 pages, 20 euros
Alors que le récit nous met, à travers de longes tirades, dans la peau de père Emmanuel, ce n’est qu’au chapitre 44 que l’auteur dévoile, l’espace d’une page, les pensées du jeune Hamidou – pour se contenter alors d’évoquer sa fascination pour l’église de Notre-Dame. Schmit laisse son père Emmanuel débiner une ribambelle d’énormités sur les femmes („faudrait tordre le cou aux femelles“) et sur les brebis nigérianes égarées („dans la nuit, on ne les voit pas, ces Blacks“, fait même remarquer un serveur), dont il faut prendre soin. Pourquoi ne pas avoir développé le point de vue du jeune Nigérian? Pourquoi ne pas avoir davantage laissé de place aux personnages féminins – l’épouse Jeanne ou encore l’énigmatique sœur Teresa – à s’exprimer, afin que ceux-ci offrent un contrepoint au discours misogyne proféré par tant de personnages? Dans l’état, le roman donne une importance malsaine à la vision simpliste d’une féminité prise entre la putain, la sainte et l’intello de gauche sécularisée.
Pour un roman philosophique qui cherche la discussion, celle-ci est largement absente du récit – et la voix narrative manque ou bien de pluralisme ou alors de distance ironique pour se distancier de ce que l’auteur, espérons-le, cherche à critiquer, même si un revirement final souligne, un peu tard, une approche critique qui se pointe un peu trop timidement. On dirait presque que l’auteur est lui-même tombé sous le charme de son propre personnage.
Il aurait fallu, afin que cette histoire d’une conversion, qui est aussi l’histoire d’un égarement, fît mouche, que les motivations de Robert Thréard fussent dessinées avec plus de précision. Et, tout comme Robert Thréard, l’auteur aurait peut-être dû „jeter du lest“. Ceci est d’autant plus dommage que stylistiquement, le roman tient tout à fait la route, surtout quand Thréard s’adonne à sa fiction moyenâgeuse, Schmit tirant alors un malin plaisir à parsemer celle-ci d’anachronismes, de loufoqueries rabelaisiennes et d’ironie – une ironie qui aurait gagné à contaminer le récit enchâssant.
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