„Parler n’est pas neutre“ / La chercheuse Hélène Barthelmebs-Raguin explique le rôle de l’écriture inclusive
Chercheuse en littératures francophones et études de genre à l’université du Luxembourg, Isabelle Barthelmebs-Raguin utilise l’écriture inclusive tant dans ses écrits scientifiques que dans sa communication professionnelle.
Quand elle écrit en tant que chercheuse, Hélène Barthelmebs-Raguin recourt ainsi au point médian et met un point d’honneur à ne pas employer le masculin „neutre et non marqué“, celui qu’on appelle masculin générique. Ainsi, elle privilégie la désignation de lectorat par rapport à celle de lecteur et emploie auteur.trice là où par le passé on aurait écrit auteur.
C’est pour la chercheuse qui publie, en 2020, „Ecriture du genre, genre de l’écriture. Regards sur les littératures francophones de 1950 à nos jours“ (éditions Seismo) une obligation pour en finir avec „l’invisibilisation des femmes sur la scène publique“ et pour être cohérente avec des recherches qui l’ont conduite à travailler sur l’invisibilisation des autrices francophones et rend ainsi „impossible de participer à inscrire les inégalités dans la langue“.
Comment reconnaître ce qui n’a pas de nom et ne laisse pas de traces?
Ses travaux s’inscrivent à la suite de ceux nombreux qui, à partir des années 1990, ont mis en avant les processus de minorisation et d’invisibilisation qui ont frappé, de tout temps, les écrivaines, poétesses, femmes politiques, historiennes, etc. „Or, le premier pas pour sortir de cette absence des femmes dans nos panthéons, nos Histoires et nos mémoires (il est souvent plus difficile de citer des autrices que des auteurs) est de les nommer et de les faire apparaître grammaticalement! Sans cela, nulle existence n’est possible: comment reconnaître ce qui n’a pas de nom et ne laisse pas de traces?“
Pas pire qu’une abréviation
Aucune des critiques généralement opposées à l’écriture inclusive ne la ferait changer de pratique. A commencer par sa supposée illisibilité qui a fait dire en 2017 à l’Académicien Michael Edwards à la qualifier de „bégaiement cérébral“. Certes, l’usage de points médians ou le redoublement des pronoms féminin et masculin peut-il, légèrement, alourdir le texte, mais ni plus ni moins que lorsqu’on use de sigles ou d’abréviations, observe-t-elle, en rappelant qu’il ne s’agit pas d’user de l’écriture inclusive pour l’ensemble des noms communs, comme les satires la présentent, mais „de marquer les distinctions de sexes (et non de genre grammatical)“.
Il ne s’agit pas d’appauvrir la langue pour renforcer le discours patriarcal dominant (comme cela est le cas dans ‚1984’), mais d’inscrire dans l’écriture-même l’égalité entre femmes et hommes
La comparaison récurrente entre l’écriture inclusive et la novlangue décrite par Georges Orwell dans „1984“, est tout aussi aberrante dans la mesure où l’écriture inclusive ne relève d’un processus totalitaire, mais, „au contraire, elle propose d’ajouter les marqueurs de sexe dans les énoncés et d’enrichir la langue avec la création de nouvelles formes lexicales. Il ne s’agit donc pas d’appauvrir la langue pour renforcer le discours patriarcal dominant (comme cela est le cas dans ‚1984’), mais d’inscrire dans l’écriture-même l’égalité entre femmes et hommes“.
S’il y a une critique pour laquelle elle a de la compréhension, c’est celle venue des propres rangs féministes et notamment du féminisme afro-decendant, selon laquelle l’écriture inclusive „lisse et estompe les spécificités des femmes, et surtout des femmes de couleur“. Les limites qui ont été soulignées reposent sur des constats déjà effectués par le féminisme post-colonial: le féminisme „tout court“ est avant tout un féminisme occidental blanc. Il y aurait donc un renforcement de la catégorie „femme“ construite comme stable et homogène, car le seul critère pris en compte est celui de la domination masculine – et non ceux de classe et de race, ce qui revient à marginaliser les minorités. „Il y a des possibilités inclues dans la langue (incises, compléments circonstanciels, etc.) qui permettent de faire entendre les voix de toutes les femmes. Les outils visant à l’égalité peuvent être combinés, et c’est aussi cela qui fait leur force.“
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