Élections législatives / La culture au programme
Des plus pragmatiques aux plus idéologiques sinon les plus farfelues, petite balade non exhaustive à travers les programmes des partis politiques.
Le goût de l’archive
On a tendance à l’oublier, mais les archives et leur accès sont une matière relevant de la politique culturelle, même s’ils peuvent avoir des implications dans d’autres domaines et notamment celui de la recherche universitaire.
Fin août, le professeur d’histoire de l’Université du Luxembourg, Benoît Majerus, dénonçait sur son blog le traitement qui lui avait été réservé dans l’accès à des archives pour l’étude de la place financière. Ayant observé que les liens entre Luxembourg et Panama débutaient à la fin des années 30 par le biais du transfert de holdings suite à l’occupation nazie, il voulait consulter un dossier d’archives du ministère des Affaires étrangères abordant les relations consulaires au Panama dans les années 50-60.
Les Archives nationales ont d’abord refusé, invoquant le (long) délai de communicabilité de 75 ans, avant de lui concéder, à sa demande, une dérogation. Mais il lui a fallu encore attendre quatre mois, le temps que les documents soient anonymisés, pour pouvoir les consulter avec un agent des Archives nationales dans le dos, rendant impossible le travail d’historien. „En 25 ans de travail d’archives sur des dossiers récents et sensibles dans une dizaine de pays (par exemple sur des dossiers psychiatriques des années 1980), je n’ai jamais vu une telle ingérence dans l’autonomie de la recherche“, s’est-il plaint.
À en croire les programmes politiques, le sujet d’un accès plus large aux archives semble n’intéresser que les partis de gauche – les Pirates évoquent l’accès aux circulaires, non aux documents historiques. „déi gréng“ parlent timidement de réviser la loi sur les archives de 2018 „en fonction de l’expérience acquise“. Les socialistes se mouillent un peu plus, en disant vouloir, après analyse, adapter la loi „afin de rendre l’accès aux archives plus aisé aux chercheur∙ses qu’à l’heure actuelle“. „Déi Lénk“ n’attend pas d’analyse pour défendre „une libéralisation de l’accès des chercheurs aux archives“.
Craintes idéologiques
Un rapide et non exhaustif sondage dans le milieu culturel montre que l’arrivée de l’ADR au pouvoir, d’une manière ou d’une autre, est la plus redoutée. On pourrait s’attendre en pareil cas à des attaques sur le contenu que seul – ou alors avec son émanation Liberté chérie – le parti de la droite dure formule expressément dans son programme électoral. Il dénonce le „corset idéologique“ qui enserrerait la culture, se dit opposé aux quotas. Il dénonce une tendance à l’étatisation de la culture à travers la politique de subsides tout comme les récents passages au statut d’établissements publics, d’institutions de la vie culturelle. L’ADR s’en prend aussi au Film Fund „utilisé pour la promotion de politiciens ou pour propager des idéologies“. Il est contre le genre comme critère de sélection des réalisateurs et dénonce par ailleurs la cancel culture.
Dans sa lutte contre le libéralisme, „déi Lénk“ s’en prend aussi à sa manière à la promotion de politiciens via le Film Fund: „Il est nécessaire de transférer la tutelle sur la production cinématographique du ministère des Communications et des Médias vers le ministère de la Culture, afin de mettre fin aux manigances libérales“, écrit-il. C’est le libéralisme que „déi Lénk“ veut dénicher. „Durant les dernières décennies et sous l’influence de l’idéologie libérale, de nombreuses et importantes institutions culturelles ont été créées sous forme de statut privé, bien qu’elles soient financées en majeure partie par de l’argent public et assurent une mission d’intérêt public“, déplore-t-il. Il veut réduire le poids du secteur privé dans les conseils d’administration des institutions culturelles afin d’endiguer „la commercialisation du domaine culturel“.
Budget vital
L’ironie de l’histoire est sans doute que „déi Lénk“ et le DP sont les deux partis à viser un niveau de dépenses pour la culture à 1% du PIB. On devine en effet clairement à travers leurs programmes que les dépenses ne feraient pas tout à fait de la même manière. Pour de nombreuses structures, qui ont fait face à l’inflation des coûts, le budget est un souci central pour continuer à programmer et payer décemment les artistes. „déi gréng“ veulent d’ailleurs augmenter le budget du „Luxembourg Film Fund“ ainsi que les montants maximaux des subventions „afin de tenir compte de l’inflation et de l’augmentation des coûts de production“, disent les Verts. Le LSAP promet qu’il poursuivra la politique de professionnalisation du secteur culturel „en apportant le soutien financier là où cela est nécessaire“. Le CSV veut donner „les moyens nécessaires“ à la culture.
Assignations à résidence
Le soutien des artistes est un sujet qui traverse la majorité des programmes, au point que toutes les constellations possibles pourraient déboucher sur un plus grand nombre de résidences. Le CSV est particulièrement ambitieux en voulant multiplier les possibilités de résidences d’artistes notamment en direction des jeunes. Il songe même à la création d’une „Cité des artistes“, dont „Kultur | lx“ aurait la gestion. „déi gréng“ proposent notamment de favoriser les résidences d’artistes dans les écoles.
Mais „déi Lénk“ et „déi gréng“ sont seuls à s’inquiéter des risques de surproduction, qui ne feraient sans doute que grandir au fur et à mesure que la scène artistique se développe. C’est ainsi que „déi gréng“ proposent une ressourcerie pour la conservation des décors et des costumes notamment. „déi Lénk“ propose un changement de stratégie au niveau des productions de théâtre et de danse. „Il faut créer moins, mais créer mieux, et surtout plus durablement“, dit le parti de gauche radical.
Nouvelles institutions
Les programmes politiques sont riches en propositions de création de nouvelles institutions. „déi gréng“, en la matière, ont le plus d’idées. Les Verts proposent de faire de la villa Louvigny un „tiers lieu pour acteurs culturels“, d’affecter le bâtiment Schuman aux institutions culturelles et d’y abriter une Maison de la danse (défendue aussi par le DP), de créer un dépôt national d’archives d’art à Neischmelz, de créer un centre national de l’architecture et de l’urbanisme, de transformer le Centre de documentation des migrations humaines de Dudelange en institution culturelle nationale, de faire du Hall des soufflantes à Belval un centre nationale de culture industrielle, de créer un centre des monuments nationaux et d’examiner l’idée d’un musée du patrimoine religieux (l’ADR veut un musée de l’art sacré, nuance!).
Faveur nationale
En coulisses, dans le monde du cinéma et du théâtre, circule la sulfureuse idée de favoriser d’une manière ou d’une autre les productions et artistes luxembourgeois. Elle affleure ci et là dans les programmes électoraux. Les Pirates pensent que le Film Fund devrait se concentrer sur le financement de petites productions du Luxembourg. L’ADR veut plus de spectacles en luxembourgeois, mais prend la peine de souligner que „la peine ne doit pas être négligée au passage“. Le CSV est d’avis à l’inverse que l’industrie du cinéma, telle qu’elle choisit actuellement ses productions, montre une image du Luxembourg ouvert au monde. Néanmoins, il dit par ailleurs vouloir s’impliquer „pour davantage de culture luxembourgeoise dans les médias“. Il ne dit pas comment il compte s’y prendre pour ainsi doper la promotion des artistes et des acteurs culturels, au pays d’abord, et à l’étranger ensuite.
„Déi Lénk“, qui veut par ailleurs mettre, elle aussi, fin „au déséquilibre flagrant entre production majoritairement et minoritairement luxembourgeoises dans le cinéma“, a le mérite de proposer du concret dans le domaine médiatique avec la création d’une télévision de service public. Mais elle le fait dans une optique de démocratisation de la culture, sujet décliné dans de nombreux programmes, sur lequel le LSAP est le plus prolixe et qui tient à cœur aux communistes.
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