Cinéma / La France vue par le 7e art – Réaliser la situation actuelle en revoyant ces six films
Loin des conflits d’opinions simplistes et des idées reçues, le cinéma peut offrir une plongée dans la réalité de la France qui connaît ce week-end des élections législatives de la plus haute importance pour son avenir. En collaboration avec l’équipe du LuxFilmFest, nous vous proposons six titres qui dressent un panorama sensible de la situation.
Quand on passe en revue les films susceptibles d’expliquer la situation de la France, il est difficile de passer à côté de l’uppercut que fut, à sa sortie en 2019, „Les misérables“ de Ladj Ly. Au-delà du fait qu’il s’inscrit à la suite de l’œuvre majeure du lettré le plus cité de France, Victor Hugo, il nous éclaire sur la situation dans les banlieues, les tensions avec la police et, s’appuyant sur un ancien fait divers, explique l’embrasement qui a suivi la mort de Nahel il y a tout juste un an.
Qui met en évidence, comme le fait Ladj Ly, l’abandon des cités à leur sort, aide à conclure à une forme de destin commun entre la campagne, les régions désindustrialisées et les banlieues, que les partis de droite et d’extrême droite s’évertuent à opposer. L’une des raisons les plus souvent avancées de la souffrance des citoyens, génératrice de vote pour le Rassemblement national, est l’accès rendu compliqué aux services publics par les réductions de budgets, qui n’ont pas cessé durant la présidence d’Emmanuel Macron. La santé, que ce soit du fait des déserts médicaux ou des problèmes généralisés dans les villes, est, en la matière, un sujet central. Le documentaire „Etat limite“ de Nicolas Peduzzi (2023) offre une plongée dans les entrailles de l’hôpital Beaujon, à Clichy, dans le sillage d’un psychiatre mobile, Jamal Abdel-Kader, qui se démène pour limiter les conséquences du manque de moyens pour ses patients toxicomanes, suicidaires ou alcooliques.
Le thème de la France périphérique est devenu un classique en littérature (avec Nicolas Mathieu notamment) comme au cinéma. Néanmoins, les approches de ces problèmes d’inégalités territoriales et sociales sont multiples. En 2020, le jeune cinéaste fraîchement diplômé, Thomas Paulot, a réalisé un documentaire de création en pleine campagne électorale pour les municipales. Il a choisi de filmer la commune ardennaise de Revin, cité jadis industrielle qui a vu ses outils de travail délocalisés, son vote socialiste se déliter au profit du Rassemblement national et le mouvement des Gilets jaunes, son dernier espoir en date. Avec „Municipale“ (2021), le réalisateur choisit de créer du documentaire avec la fiction, en lançant dans la course aux élections municipales un comédien, sans cacher ses intentions. Ce personnage relais fait office de „réceptacle de la réalité“. Il s’applique à comprendre les enjeux locaux et entraîne la ville dans une fiction politique, où les insuffisances du système représentatif explosent au grand jour. C’est toute la passion française pour le débat politique que „Muncipale“ documente également. Le Monde y avait vu à sa sortie „l’un des plus beaux portraits de la France oubliée vus récemment sur grand écran“.
Le petit jeu du „nous“
Comment tenir ensemble tous les parcours qui composent la France, c’est la question que s’était posée Alice Diop dans son documentaire „Nous“ (2021). Celle qui deux années plus tard allait remporter la Mostra de Venise avec son premier long-métrage de fiction „Saint-Omer“ y affinait une interrogation quant à l’unité du peuple proférée par le journal Libération dans le recueillement qui suivit les attentats contre Charlie Hebdo et de l’hyper cacher. Elle est partie enquêter sur ce que c’était ce „nous“, en suivant la ligne du RER B, qui longe des lieux chargés d’histoire comme la Basilique de Saint-Denis chère aux rois de France ou le mémorial de la Shoah à Drancy. Elle s’y faisait attentive aux récits, mémoires et visages, évoquant notamment les travailleurs pauvres et l’opposition ville/banlieues.
La possibilité et la manière de dire „nous“ dépend fortement des trajectoires de vies, elles-mêmes fortement déterminées par le milieu. Dans „Adolescentes“ (2019), le documentariste Sébastien Lifshitz a suivi pendant cinq ans deux adolescentes aux origines diverses, réunies par l’école publique, l’une issue du sous-prolétariat, l’autre de la petite bourgeoisie. Il filme leur amitié à l’épreuve du temps qui passe mais aussi de leur pays qui les traverse, parfois douloureusement. C’est à la fin du collège que les trajectoires des deux copines commencent à se séparer, chacune regagnant sa voie déjà toute tracée. On peut être tentée d’y voir les parcours d’une future électrice du parti macroniste et d’une du Rassemblement national.
Enfin, le film „Effacer l’historique“ (2020) de Gustave Kervern et Benoît Delépine, permet d’approcher une nouvelle fois la fracture sociale doublée d’une fracture numérique. Sur fond de mouvement des gilets jaunes, ils mettent en scène avec humour des populations oubliées à la fois dominées et déboussolées par les outils électroniques dans un monde toujours plus individualiste.
A voir
„Les misérables“ (2019) de Ladj Ly
„Adolescentes“ (2019) de Sébastien Lifshitz
„Effacer l’historique“ (2020) de Gustave Kervern et Benoît Delépine
„Municipale“ (2021) de Thomas Paulot
„Nous“ (2021) d’Alice Diop
„Etat limite“ (2023) de Nicolas Peduzzi
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