Littérature / La revanche de la liberté: „Monique s’évade“ d’Edouard Louis
Avec „Monique s’évade“, Edouard Louis poursuit ce qu’il avait entamé dans son avant-dernier opus, „Combats et métamorphoses d’une femme“ (Seuil, 2021): célébrer le personnage de Monique, sa mère, et narrer sa revanche.
A 55 ans, Monique, la mère d’Edouard Louis, s’évade, échappe à sa condition. Pour la première fois de son existence, elle goûte au droit fondamental de ne s’occuper que d’elle-même, de ne plus vivre pour et à travers les besoins et exigences des autres: „Pour la première fois elle peut dire Je et non plus Nous au moment de planifier son futur.“ En s’évadant, Monique quitte „la violence d’une éducation, d’une classe sociale, de la vie en couple, de la domination masculine“. Elle se réapproprie une vie qui ne lui avait encore jamais vraiment appartenue. A travers le destin à la fois admirable et tragiquement commun de sa mère, Edouard Louis raconte une histoire universelle – celle de la violence de genre, de la condition de la femme et de la mère de famille. „La violence que vivait ma mère avait l’odeur des grottes et des cavernes de la préhistoire, l’odeur de la violence millénaire.“
Cette violence millénaire, Edouard Louis veut la nommer pour mieux la dénoncer, pour mieux la faire cesser. Son livre combat la banalisation, la vulgarisation de cette violence qui gangrène les foyers. Pour ce faire, l’auteur choisit par exemple d’extraire les insultes que sa mère s’est vue asséner tout au long de sa vie, de les sortir de la masse du texte pour les agencer comme on écrirait un poème, en passant à la ligne, en composant une forme de refrain des injures et injonctions qui ont accompagné Monique tout au long de sa vie. Ce refrain de la violence que Louis fait varier tout au long de son livre lui permet de rendre leur sens véritable aux mots, et aux affronts: „(…) une fois qu’il avait bu, il l’humiliait, il se mettait à l’insulter, à la traiter de salope, de pute, de conne (…). Je savais qu’elle avait l’habitude. J’avais vu mon père quand il était ivre, tout au long de mon enfance, l’appeler Grosse vache, Gros tas, Ou la Grosse, surtout devant d’autres personnes, pour les faire rire et pour l’humilier.“
„Monique s’évade“ est également l’opportunité pour Louis d’avouer ses propres failles, ses propres manquements à sa mère – comme ce jour où il admet avoir préféré aller „dîner avec un artiste reconnu dans le monde entier plutôt qu’avec [elle]“. En exposant les recoins de sa propre vanité et de son propre orgueil, en racontant la façon dont la violence de classe l’a conduit à faire des choix qu’il regrette aujourd’hui, Louis fait de sa honte l’un des motifs du livre, mais également un moteur puissant. Car une fois que Monique prend la décision de s’évader, de quitter son nouveau compagnon pour s’enfuir seule, Louis se dévoue entièrement à elle, devient son allié principal.
Différentes formes de violence
Retenu en Grèce pour les besoins d’une résidence littéraire, l’auteur orchestre à distance la fuite de sa mère, lui offre le refuge de son appartement parisien. Lors d’une scène infiniment touchante, il évoque sa tentative d’indiquer à sa mère, par écran de smartphone interposé, les gestes qu’elle doit faire pour se connecter à Internet – une action quotidienne que Monique, par sa classe, son genre, sa génération, n’avait pas eu le droit, le temps ou le loisir d’apprendre à faire auparavant. Passé le premier sentiment de découragement et d’inadéquation, Monique sort victorieuse de l’entreprise, avec humour: „J’ai réussi du premier coup! Qu’est-ce que je suis douée comme femme!“
Le portrait que brosse Edouard Louis de sa mère n’est pourtant pas immaculé. Monique a ses défauts, ses vices – qui ont d’ailleurs également constitué la matière d’ouvrages précédents (et notamment „En finir avec Eddy Bellegueule“). Monique elle-même reconnaît et dénonce ses traits de caractère passés, qu’elle lie à ses anciens compagnons de vie: „Je voulais partir avant qu’il ne me rende méchante comme ton père me rendait méchante.“
Je voulais que ce roman ressemble dans sa forme et son apparence à un document aussi commun qu’une facture, c’est-à-dire l’envers de ce que prétend souvent être une œuvre littéraire: un acte noble, pur et désintéressé.
Dans „Qui a tué mon père“ (Seuil, 2018), Edouard Louis donnait à son propos une dimension intentionnellement politique, en citant les noms des hommes et femmes politiques (Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande, Emmanuel Macron, …) dont les décisions, prises alors qu’ils étaient au pouvoir, eurent selon l’auteur un impact direct sur le corps, la santé, l’existence et le destin de son père. Avec „Monique s’évade“, Edouard Louis offre une nouvelle variation sur le thème de la violence de classe, en analysant les raisons pour lesquelles elle se perpétue, mais également, la façon dont on peut la transformer, l’arrêter, faire cesser le cercle vicieux universel. Pour ce livre, l’idée première de Louis était de faire apparaître les sommes d’argent nécessaires à sa mère pour lui permettre d’accéder à la liberté: „Je voulais que ce roman ressemble dans sa forme et son apparence à un document aussi commun qu’une facture, c’est-à-dire l’envers de ce que prétend souvent être une œuvre littéraire: un acte noble, pur et désintéressé.“
Comme dans ses romans précédents, l’auteur continue de s’interroger sur ce que peut dire la littérature, et sur la place qu’elle joue dans les cycles de violence et d’humiliation. Si Louis constate ne pouvoir affirmer s’il a réussi ou échoué dans son intention d’origine, il expose un paradoxe poignant: le fait que, si ses premiers livres ont d’abord causé une rupture avec sa famille, brisé les liens et la communication avec les siens, et notamment avec sa mère, ce sont finalement ces mêmes livres qui auront contribué à l’évasion de Monique: „Ce que ma mère avait vu comme une trahison était maintenant ce qui nous permettait, ensemble, de construire sa liberté.“
Edouard Louis: „Monique s’évade“, Seuil, ISBN 978-2-02-148346-8.
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