Littérature et Occupation / Le CNL en défricheur
Le Centre national de littérature s’emploie, par une exposition et un catalogue, à défricher un pan encore méconnu de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale au Luxembourg: la vie intellectuelle et littéraire sous la menace puis sous la contrainte nazie.
Ce n’est pas une entreprise mémorielle que livre le Centre national de littérature avec l’exposition „Luxemburg und der Zweite Weltkrieg – Literarisch-intellektuelles Leben zwischen Machtergreifung und Epuration“ et le livre éponyme richement documenté. Certes, l’année 2020, signifiant les 80 ans de l’occupation du Luxembourg par l’Allemagne nazie, se prêtait parfaitement à une rétrospective. Mais pour qu’il y ait rappel, il faut qu’il y ait connaissance. Or, en abordant à évoquer la vie intellectuelle et littéraire sous l’occupation, le CNL fait œuvre de pionnier en explorant un aspect encore méconnu d’une période qui, depuis les années 60 et 70, fut déjà largement arpentée par les historiens sous l’angle politique.
A vrai dire, la vie culturelle a déjà été abordée. Paul Lesch, en 2002, a publié une monographie, „Heim ins UFA-Reich“, où il s’interrogeait sur le destin du cinéma au Luxembourg en ces temps troubles. En 2007, le Centre national de littérature, lui-même, présentait l’exposition „Exilland Luxemburg 1933-1947“, consacrée aux trajectoires de déportés et fugitifs du régime nazi, parmi lesquels de nombreux artistes, réfugiés au Luxembourg. En 2012, l’historienne de l’art et artiste Catherine Lorent, s’intéressait au carcan que l’occupation a mis sur la vie culturelle, dans son ouvrage „Die nationalsozialistische Kunst- und Kulturpolitik im Großherzogtum Luxemburg 1934-1944“.
Des vertus stimulantes
Mais il reste encore beaucoup à faire pour saisir toute diversité et la vie des personnes qui ont fait la scène intellectuelle et littéraire d’alors. Les six autrices et auteurs (Claude D. Conter, Daniela Lieb, Marc Limpach, Sandra Schmit, Jeff Schmitz et Josiane Weber) du catalogue de l’exposition se défendent d’ailleurs en préambule de toute volonté d’exhaustivité. Ils ont préféré faire des incises et s’attarder sur des aspects particuliers de ce vaste horizon. Leur ouvrage est un voyage d’exploration et de repérage (une „Standortbestimmung“, écrivent-ils), qui se conçoit aussi comme un stimulant du monde scientifique, invité à prendre le relai.
La prospection débute avec l’arrivée au pouvoir de Hitler en 1933, qui marque le début d’une intense réflexion sur le fascisme et le rôle de littérature sous un régime totalitaire, à travers le prisme de la situation au Luxembourg et de la posture à adopter vis-à-vis d’un voisin impérialiste toujours plus menaçant. Parmi les franges les plus à droite, des intellectuels posent le IIIe Reich en modèle, et certains d’entre eux se mettent au service de l’occupant, le moment venu. L’ouvrage étend ainsi son emprise jusqu’à l’après-guerre, et la période de l’épuration qui est celle où des intellectuels et écrivains sont sommés de justifier leurs comportements politiques et durant laquelle les témoignages des prisonniers politiques et des recrutés de force, au retour au pays, sont particulièrement prisés pour leurs effets fédérateurs.
L’exposition puise à de nombreuses sources, à commencer par celles, évidentes, du Centre national de littérature, des Archives nationales et de la BIbliothèque nationale, mais aussi dans des institutions publiques et collections privées du Luxembourg et de l’étranger, dont le Bundesarchiv allemand. Ces sources sont aussi bien des créations littéraires, des coupures de presse (126 romans feuilletons sont publiés dans les journaux mis au pas pendant l’occupation), des dossiers de justice ou encore des carnets du front ou de camp.
Pour en présenter les enseignements, le travail emprunte ses outils aussi bien à l’analyse de texte, qu’à la prosopographie ou à la micro-histoire. Il s’agit de restituer l’univers mental et idéologique de la période, rappeler l’importance de l’épreuve de la Première Guerre mondiale dans la formation de l’identité luxembourgeoise, contextualiser le rapport à la France, à l’Allemagne, ainsi qu’à sa propre littérature, et mettre au jour les tensions et la „profonde polarisation“ de la scène culturelle, dans un contexte géopolitique marqué par l’instabilité et la menace.
L’exposition comme le catalogue s’intéressent parmi tant d’autres à la Gesellschaft für deutsche Literatur und Kunst (Gedelit), qui, dès sa fondation en 1934, œuvre à l’introduction des œuvres venues d’Allemagne nazie au Luxembourg, et qui, presque naturellement, devient l’organisation faitière de toutes les associations culturelles. Les lectures d’auteur qu’elle organise concernaient dans la grande majorité des artistes allemands. Ces lectures, au caractère propagandiste visible, sont bien moins populaires que les concerts ou le théâtre. Ou que les lectures faites à la radio par Friedrich Castelle …
Exposition au Centre national de littérature de Mersch, du lundi au vendredi de 9.00 à 17.00 h jusqu’au 31 juillet 2021
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