LuxFilmFest / „Losers with a Laptop“
Femke Boot (Katja Herbers), une éditorialiste aussi encensée que polémique, n’en peut plus de voir proliférer les commentaires haineux sur les réseaux sociaux, où l’on retrouve les différentes cochonneries et humiliations ad hominem que des hommes (souvent) publient. Irritée d’être traitée de conne, de frustrée, de pédophile et de lire des fantasmes relatifs à sa mort, lassée par la passivité de la police qui lui dit que „ce qui se passe sur Internet n’est pas vrai“, elle décide de prendre les choses en main. Alors que sa vie privée se déroule au mieux – elle s’amourache d’un auteur de livres d’horreur à succès avec qui sa fille, qui a hérité de l’intelligence et de l’esprit de provocation de sa mère, s’entend à merveille – elle commence à être obsédé par une revanche meurtrière qui l’amène à éliminer systématiquement tout instigateur de haine et proféreur d’immondices qu’elle débusque dans le monde réel. Là où Teddy appuyait son histoire de revanche en jouant sur les tropes du lycanthrope, „The Columnist“ d’Ivo van Aart transforme son intellectuelle en méchante tueuse en série. C’est jouissif, radical, et même si les réflexions sur le lien entre catharsis et le processus créatif ne volent pas très haut, le portrait brossé en creux de ses „losers with a laptop“ qui lancent des commentaires misogynes et violents sur la toile et s’étonnent que ça puisse avoir des répercussions dans le réel est frappant d’authenticité: quand le film brode sur la perte d’empathie que certains éprouvent en passant la vie sur les réseaux sociaux, il vise et touche aussi juste.
Un des grands noms du festival nous donne à voir un petit court-métrage : Dans „The Human Voice“ de Pedro Almodóvar, Tilda Swinton incarne une actrice connue pour ses penchants mélodramatiques et sa mélancolie, qui passe un dernier coup de fil avec un amant qui l’a éconduit et le chien duquel elle sera obligé d’adopter. Etude de caractère tout autant qu’analyse de ce que la mimésis théâtrale peut receler de vrai et de faux, cette reprise d’une pièce de théâtre de Jean Cocteau est portée par une esthétique typique de Pedro Almodóvar et le jeu de Tilda Swinton. Sa courte durée empêche d’y voir pourtant autre chose qu’un exercice de style intéressant.
„De nos frères blessés“ (d’Helier Cisterne) raconte l’histoire vraie d’un jeune Français, Fernand Iveton (Vincent Lacoste), communiste et anticolonialiste, qui s’engage dans la lutte clandestine pour l’indépendance de l’Algérie afin de parer au racisme et à l’exploitation des colons français. Après une tentative d’attentat dans l’usine où il travaille – tentative qui n’aurait provoqué que des dégâts matériels –, il se retrouve en prison et condamné à mort. Sa femme Hélène (Vicky Krieps), qui a tout largué pour partir avec lui, essaie d’alerter l’opinion publique française afin de sauver la vie de son amour. Même s’il ne parvient pas toujours à éviter le ton mélodramatique et que l’idéologie de l’engagement qui traverse le film est un peu trop simpliste, rappelant en cela les romans d’André Malraux, „De nos frères blessés“ n’en est pas moins un film touchant, qui parle d’un chapitre sombre de l’histoire de la France et qui convainc notamment par ses deux acteurs principaux.
„Bloody Noses Empty Pockets“, de Bill and Turner Ross, suit le dernier jour d’un bar miteux à Las Vegas avant sa fermeture définitive. Adoptant une forme semi-documentaire, le film dégage un ton laconique à souhait – à un moment, l’on découpe un gâteau d’adieu sur lequel est marqué: „this place sucked anyways“. L’on y découvre le quotidien d’existences déchues, souvent touchantes, parfois irritantes, tissé d’alcooliques désabusés, d’hommes et de femmes solitaires, de vétérans mélancoliques – une sexagénaire montre ses seins et se fait admirer pour avoir su garder des nichons de jeune fille, une serveuse se fait un sang d’encre parce que son fils commence à rentrer tard en puant l’alcool, un vieillard dit n’être tombé dans l’alcool qu’une fois qu’il avait constaté que sa vie n’était de toute façon qu’un long échec, un vétéran pleure le racisme d’un pays pour lequel il a combattu, un autre habitué articule tellement mal qu’on demande des sous-titres. La caméra retient sans juger, réussissant bien mieux que le mièvre „Nomadland“ à chanter des existences marginales, perdues, oubliées par la société.
The Columnist: 3/5
The Human Voice: 2/5
De nos frères blessés: 2,5/5
Bloody Noses, Empty Pockets: 3/5
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