Cinéma / Lost in Translation: „Retour à Seoul“ de Davy Chou
Avec „Retour à Séoul“, Davy Chou signe un film poignant, touchant, autour des incessantes métamorphoses d’une jeune femme adoptée qui, essayant de trouver ses parents biologiques, en vient à entretenir une relation complexe avec son pays natal.
Adoptée alors qu’elle n’était qu’un bébé, Frédérique Benoît, dite Freddie (Park Ji-min) retourne presque par hasard en Corée du Sud: son vol pour le Japon ayant été annulé à cause d’un typhon, le premier vol consécutif qu’on lui a proposé était en partance pour son pays natal. C’est tout du moins ce qu’elle explique en appel vidéo à sa mère adoptive, qui s’inquiète d’apprendre que Freddie a opéré toute seule un voyage que la mère voulait entreprendre en compagnie de sa fille – probablement pour l’aider à affronter un périple potentiellement dur.
A ce point du film, le spectateur, connaissant déjà le comportement parfois erratique, souvent brusque, tantôt déluré et enthousiaste, tantôt renfrogné et impavide, de Freddie, pourra se demander de bons droits si tout cela est bien vrai. Car le début du film, qui la voit débarquer à Séoul, ne nous donnera pas d’informations sur ses péripéties précédentes, Davy Chou choisissant de ne montrer de son personnage que les expéditions coréennes, quitte à laisser des ellipses d’un ou de cinq ans entre les différents chapitres de son film, ellipses qui font qu’on ne réussira jamais à cerner tout à fait son personnage principal qui, bien que prise dans un étau qui la verra osciller entre la France et la Corée, se veut insaisissable, en métamorphose permanente, menant une vie tourbillonnante, à l’image de ce typhon qu’elle a, peut-être, inventé.
A peine arrivée à Séoul, Freddie fera la rencontre de Tena (Guka Han), qui deviendra son amie et sa traductrice attitrée et avec qui, dans un restau, elle achèvera de se bourrer la gueule, lui expliquant qu’elle n’est pas du tout là pour rechercher ses parents biologiques alors que, tout au long du film, elle ne fera que cela.
Au lieu d’expliquer dans les détails ce qui l’amène à Séoul, au lieu aussi de suivre en bonne touriste les coutumes coréennes qu’on lui explique gentiment, elle demandera plutôt, à Tena et son ami, s’ils savent ce qu’est le déchiffrage en musique, c’est-à-dire l’exercice qui consiste à jouer une partition de musique qu’on vient tout juste de découvrir, en en analysant rapidement les moments clés et en se jetant ensuite à l’eau froide.
Et c’est tout le modus operandi de son personnage que le film livre ici, qui semble déchiffrer les indices de toutes les situations que la réalité lui propose avec un sens de l’improvisation où l’impétuosité le dispute parfois à la mélancolie tant elle semble parfois regretter ses faits et gestes – dans le bus qui l’amène chez son père avec sa nouvelle amie, elle commencera tout d’un coup à réclamer au chauffeur de retourner à Séoul, comme si elle venait de réaliser qu’elle n’était pas en train de jouer la bonne partition.
Ce père, Freddie le retrouvera après s’être rendue au centre d’adoption Hammond, où on lui expliquera les démarches administratives pour entrer en contact avec ses parents biologiques: à la demande de l’enfant, le centre envoie un télégramme. Ce sera ensuite aux parents de reprendre contact, de sorte que la balle est dans leur camp – „vous protégez les parents, pas les enfants“, reprochera Freddie à une employée qu’on jugera, peut-être à tort, comme insensible.
Une liberté absolue
De fait, entre une mère qui ne répondra jamais et son père, un ancien pêcheur reconverti en réparateur de clim qui la harcèlera de textos dès qu’il a trop bu – donc quasiment tout le temps –, Freddie se trouve entre un vide et un trop-plein, décidant alors que Séoul ne lui réserve rien de bon, quittant une ville qui l’aimantera pourtant encore et encore, la capitale la voyant réapparaître sous différentes formes, en conseillère internationale, en employée dans le trafic d’armes, en fêtarde invétérée ou en amoureuse sereine.
Ce qui se manifeste dans les métamorphoses multiples de Freddie, c’est cette impression de n’appartenir à rien ni personne, de n’avoir pas de véritable chez-soi, raison pour laquelle toutes les formes d’existence lui sont ouvertes. „Je pourrai t’effacer de ma vie d’un claquement de doigts“, dira Freddie à son compagnon Maxime après que son père biologique, qu’elle revoit pour la première fois en sept ans, l’a éconduite de façon tout à fait étrange, comme si le fait de répéter cela à son partenaire amoindrissait, en reproduisant le mécanisme de rejet tout en s’appropriant le beau rôle du salaud, la douleur de ne pas avoir été voulue – „vous vous débarrassez de vos petits Coréens et après, vous voulez qu’ils reviennent s’y installer“, dira-t-elle à un coup d’un soir qui, ivre, ne veut pas qu’elle reparte en France.
Avec „Retour à Séoul“, Davy Chou réalise un film sensible, touchant, intelligent, porté par une actrice forte, une écriture soignée – on pourrait à la limite déplorer quelques raccourcis de psychanalyse de comptoir, notamment quand, très vite après avoir rejeté son père, elle se met à ne matcher que des „vieux“ sur Tinder – et une utilisation intelligente de l’ellipse comme moyen narratif, esquissant le portrait sans cliché d’une femme déracinée, qui se sent rejetée et qui, à partir de ce rejet, se construit à partir d’un creux – si être sans attaches peut donner un sens de liberté grisant, une telle existence est aussi, souvent, un délicat exercice de somnambulisme.
4/5
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