Entre Luxembourg et Berlin / Luc Spada : „Je me demande s’il est possible d’être encore un bon être humain“
Ecrivain, interprète, chanteur, scénariste, animateur radio, Luc Spada a de nombreuses cordes à son arc, et les utilise pour aborder des thématiques profondes, personnelles et politiques.
Luc Spada a quitté Berlin au début de l’année, il habite désormais à la frontière allemande avec le Luxembourg. C’est l’amour qui l’a poussé à quitter la capitale. „Je suis tombé amoureux de celle qui allait devenir ma partenaire, elle ne vivait pas à Berlin, et j’ai choisi d’en partir pour ne pas mettre notre histoire en péril, comme cela m’était arrivé par le passé, dans des relations à distance.“ Spada revient tout de même régulièrement à Berlin pour rendre visite à ses amis, retrouver ses bars préférés, ou pour des missions professionnelles. „Cela me manque, mais pas autant que je ne le croyais. Peut-être parce que j’ai été très heureux là-bas, et parce que c’est également agréable de démarrer quelque chose de nouveau. J’aime le changement, donc déménager de Berlin a été une belle opportunité.“
Luc Spada était arrivé pour la première fois dans la capitale allemande lorsque le bureau gouvernemental du Nordrhein-Westfalen à Berlin lui avait décerné un prix, pour couronner son premier livre. Le jeune auteur avait alors passé un mois dans la capitale en résidence d’écriture, avant de s’y installer en 2012. „Ce qui m’a sans doute inspiré à Berlin, c’est le fait qu’il y a beaucoup de gens de différentes origines, géographiques et sociales, mais aussi des gens se battent, qui luttent – aussi bien dans la sphère privée que professionnelle. C’est vrai partout, mais à Berlin il y a une grande concentration de gens freelance, d’artistes, pour qui il est plus dur de survivre dans une grande ville. Et c’est l’un des sujets que j’explore dans mes écrits.“
Au début de sa carrière, Luc Spada avait commencé par se consacrer essentiellement au métier d’acteur. Mais aujourd’hui, il a de nombreuses autres facettes: écrivain, musicien, organisateur d’événements littéraires et culturels. Il anime également le podcast „Fiasko Fest“ sur la radio 100.7, dans lequel il interviewe ses invités au sujet de leurs échecs ou difficultés. „En arrivant à Berlin, j’ai passé plusieurs castings avec une agence. Certains marchaient, d’autres pas. J’ai rapidement réalisé que je n’étais sans doute pas le meilleur acteur du monde et que décrocher les rôles ne m’intéressait finalement pas tant que cela. D’autres personnes étaient bien plus investies que moi. Et puis il y avait beaucoup de rôles que je n’aimais pas, en fait. Alors je me suis rendu compte que je n’avais pas autant besoin de ce métier que je l’avais pensé ; j’ai compris que ce n’était pas ma passion. J’avais plus d’énergie et de désir lorsqu’il s’agissait d’écrire ou de raconter mes propres histoires – que ce soit à travers un livre, une pièce de théâtre ou un film.“
Luc Spada vient d’ailleurs de recevoir l’aide à la production du Film Fund de Luxembourg pour son premier court-métrage, „Kintsugi“, qu’il a coécrit avec l’une de ses meilleures amies, l’actrice Maja Juric. „Ce n’est pas que j’aime écrire, mais j’en ai besoin. En ce moment, je travaille à un nouveau roman, ça prend un temps fou, mais cela m’est nécessaire. Je n’écris pas en pensant à une potentielle carrière ou à un succès, j’écris parce qu’il me faut le faire. Si le succès vient, tant mieux, mais ce n’est pas le moteur principal.“
Les deux visages du deuil
En plus de son métier d’écrivain, Luc Spada a sorti en 2021 un album intitulé „Ciao Luca“, après la mort de son père qui s’est longtemps battu contre le cancer. Une première expérience pour Luc Spada, qui avait certes l’habitude de la scène et du spoken word, mais n’avait encore jamais mis ses textes en musique. „Je ne suis pas un musicien. Avec le spoken word se posait déjà la question de voir comment utiliser les mots de façon à ce qu’ils soient potentiellement accessibles au plus grand nombre, et comment faire en sorte d’intéresser des personnes qui ne me liraient pas d’habitude. Avec l’album, je n’avais pas besoin de tout dire, il y avait de la place pour le sous-texte et le silence.“ Mettre les émotions liées à son deuil en musique a également permis à Luc Spada d’exprimer des sentiments que les mots seuls n’auraient pas forcément pu faire passer. „Et puis le fait de se produire live, de donner ces mots directement au public, c’était très agréable et réconfortant.“
À travers des paroles, une mélodie, un paysage sonore et musical particulièrement touchants, (en particulier dans „Sincerely“ et „Ciao Luca“, les deux morceaux de l’album qu’il préfère), Spada parvient à créer une atmosphère empreinte de grande nostalgie, mais toutefois teintée d’espoir. „L’album fait références à mes racines, mes origines italiennes. Quand j’étais petit, les membres de ma famille qui parlaient italien me saluaient ainsi : ,Ciao Luca‘. Après la mort de mon père, j’ai voulu exprimer l’idée que celui que j’avais été n’existait plus, qu’on pouvait lui dire au revoir, ,Ciao Luca‘, tout en accueillant en même temps le nouveau Luc, ,Ciao Luca‘.“ Dans sa recherche autour du processus de deuil, la docteur Ruthmarijke Smeding définissait l’une des premières phases de cette longue période comme l’étape „Janus“, du nom de la divinité romaine à deux têtes, dont l’une est tournée vers le passé, et l’autre vers le futur. Une image que l’on retrouve dans les textes, mais également la rythmique et l’énergie de „Ciao Luca“. Tantôt les morceaux sont influencés par les souvenirs de Spada, par la pop italienne ou les chanteurs qu’il écoutait enfant (Toto Cutugno, …) ; tantôt ils se rapprochent d’un slam, dans un élan plus rapide et dynamique, un message entraînant qui parvient à célébrer les nouveaux départs. Empreints d’italien, la langue que Luc enfant parlait avec sa grand-mère, certains des textes sont pour le chanteur une façon de s’adresser directement à son défunt père: „Je ne suis pas religieux, mais ces paroles en italien sont une manière pour moi de lui envoyer un message spirituel – peut-être …“
Accompagner son père dans les derniers moments de sa vie a constitué un tournant de la vie de Spada : „C’est une période qui dure longtemps, la maladie d’un proche – avec ses hauts et ses bas, ses espoirs et ses coups. C’est très beau d’un côté, car on a des discussions qu’on n’avait pas auparavant, et on découvre la personne, surtout si c’est son parent, sous un nouveau jour. On réalise que beaucoup de choses n’importent pas, que notre propre vie est limitée, qu’on sera sans doute le prochain à mourir, dans cette lignée-là. Mais on se rappelle aussi nos souvenirs d’enfance. J’étais soudain beaucoup plus conscient, j’avais le sentiment de devenir véritablement un adulte. Toutes ces révélations sont ce qui compose l’album ,Ciao Luca‘.“
Après la mort de mon père, j’ai voulu exprimer l’idée que celui que j’avais été n’existait plus, qu’on pouvait lui dire au revoir, ,Ciao Luca‘, tout en accueillant en même temps le nouveau Luc, ,Ciao Luca‘
L’année dernière, Luc Spada a composé, interprété et produit de nouveaux morceaux : „Alles Ist Okay“, „Komm Mir Nicht Blöde“ et „Reime“, dans lesquels il s’attaque à de nouveaux sujets, tels que la question du privilège et de la surconsommation. „La vie est une telle loterie. Je suis privilégié, alors que beaucoup ne le sont pas. Je me demande s’il est possible d’être encore un bon être humain, une bonne personne. Suffit-il de poster sur Instagram des ,Prayers to‘ ou ,All eyes on‘ …? Est-ce mieux que rien? Et moi, que puis-je faire? Je peux cesser de prendre l’avion, soit, mais encore? On parle beaucoup du besoin de faire attention à soi, de trouver sa liberté intérieure etc. Parfois, je déteste ce genre de discours, car j’y vois une forme d’auto-centrisme, et en même temps, que peut-on faire d’autre? Parfois, j’ai l’impression de me trouver quelque part entre un sentiment de colère et un sentiment d’amour pour tout le monde, entre le kitsch et la rage. Et une impression d’impuissance. Lorsque j’habitais à Berlin, j’étais parfois insupporté par le discours de certaines personnes qui parlaient de leur besoin de se mettre au vert, s’achetaient une belle maison, une voiture, s’installaient à la campagne. Mais aujourd’hui, c’est moi qui vis en dehors des grandes villes, et cela me fait beaucoup de bien. Les gens m’énervent parfois, mais je suis moi-même énervant. Et mes dernières chansons sont une tentative de faire apparaître toutes ces contradictions.“
Série
Cet article fait partie de la série „Artistes entre Luxembourg et Berlin“, dans laquelle notre correspondante Amélie Vrla présente des artistes luxembourgeois-es vivant à Berlin.
- Sandy Artuso macht mit „Queer Little Lies“ Esch zum queeren Kultur-Hotspot - 26. November 2024.
- Gewerkschaften und Grüne kritisieren „Angriffe der Regierung“ auf Luxemburgs Sozialmodell - 26. November 2024.
- Sozialwohnungen statt Leerstand: Was die „Gestion locative sociale“ Eigentümern bieten kann - 26. November 2024.
Sie müssen angemeldet sein um kommentieren zu können.
Melden sie sich an
Registrieren Sie sich kostenlos