En résidence au „Bridderhaus“ / Machines à réflexions: Sébastien Mettraux, peintre d’un territoire et d’une époque
Originaire d’une vallée industrieuse et non moins ingénieuse du canton de Vaud, Sébastien Mettraux achève une résidence d’artistes au „Bridderhaus“ d’Esch. Il y a cultivé son goût déjà prononcé pour les machines et a le projet d’en peindre un laminoir.
Sébastien Mettraux n’était pas en terre tout à fait inconnue en débarquant à Esch-sur-Alzette. Et c’est sans doute parce qu’il vient de la vallée de l’Orbe du canton de Vaud en Suisse, dans laquelle le fer joue un rôle depuis sept siècles, que le directeur artistique de la Konschthal en charge de la structure, Christian Mosar, l’a invité. Sébastien Mettraux offre le prolongement artistique de l’ingéniosité locale qui a transformé un monde paysan en un monde artisanal de haute précision, tirant de la terre, des forêts, de l’eau, les moyens de développer une industrie et d’échapper à sa condition.
La vallée de l’Orbe est encaissée. Elle n’a pas permis, comme dans celle de l’Alzette, de déployer des installations sidérurgiques de grande taille, mais a aggloméré de nombreux métiers du fer, du cloutier médiéval à l’horloger contemporain. Mais c’est peut-être cette situation géographique étriquée, qui a porté ses habitants à compenser leurs horizons barrés par les montagnes par la création entre leurs mains d’un monde de détails, comme aime à se le dire l’artiste. Lui-même, dans sa pratique, ne compte pas les heures, recourant au petit pinceau, peignant à l’huile plus lente à sécher que l’acrylique, renonçant aux scotchs et esquisses, travaillant avec minutie aux espaces où se rejoignent les couleurs et jamais fâché quand une imperfection trahit l’aspect manuel d’un travail qu’il inscrit volontiers dans un continuum ouvrier.
Pour autant, comme aime à le rappeler ce trentenaire, il est un „digital native“. Il appartient à la première génération qui a grandi avec les jeux vidéos FPS d’immersion, qui est allé voir enfant le premier long métrage d’animation en images de synthèse que fut „Toy Story“ et qui a grandi avec des logiciels permettant de construire des formes en 3D à la maison. Toutes ses œuvres sont issues du virtuel. C’est sur l’ordinateur qu’il développe et construit ses futures peintures dans un espace totalement numérique. Cela lui permet de revisiter les paramètres classiques de la figuration établis à la Renaissance (clair-obscur, modelé, perspectives) mais aussi d’affranchir ses objets des contraintes physiques. „Dans mon atelier, les imprimantes 3D, casques VR et smart glasses côtoient la presse à gravure, l’huile, la térébenthine et les outils traditionnels du peintre“, confie-t-il.
Ce processus est à l’œuvre depuis sa première série de peintures „Dernier paysage I“ (2004-2011). À l’origine de cette dernière, il y a d’abord les années 90, „une période bénie“, purgée de toute crainte après la fin de la guerre en Irak, au bout de laquelle le bug de l’an 2000 aura auguré le début de l’anxiété. Il y a eu ensuite le 11-Septembre, les aléas climatiques, les épidémies de grippe aviaire. Ces premiers travaux saisissent cette époque naissante, en imaginant comme derniers paysages à peindre avant la catastrophe, les abris anti-atomiques que chaque nouvelle maison en Suisse était tenu de disposer à l’époque, en vertu d’une loi héritée de la guerre froide. C’est cette série qu’il a exposée à son arrivée en juin au „Bridderhaus“, à laquelle la guerre en Ukraine avait entre-temps donné une nouvelle signification. On n’est pas sortis de cette période et d’une impossibilité de se laisser enchanter par les paysages comme a pu le faire un Monet. La vision de la nature malmenée par la chaleur, des champs jaunis d’un jaune de Naples („la palette a changé“, dit-il) par l’infinie canicule ne l’invite pas à changer de perspective.
Besoin d’immersion
Sébastien Mettraux a donné à son travail d’artiste trois principes fondateurs, parmi lesquels figure le lien avec le territoire et la société. Il ne se voit pas peindre sur une région qu’il ne connaît pas. Il ne conçoit pas davantage le travail artistique par la seule production d’œuvres, mais juge nécessaire une compréhension culturelle et historique des lieux auxquels elles se rattachent. Et à l’heure d’achever sa résidence au „Bridderhaus“, il connaît désormais suffisamment le territoire du Sud du pays, pour songer à lui dédier des toiles. L’idée est venue de continuer à donner une suite à la série „Ex machina“ peinte entre 2015 et 2019, pour laquelle il a d’abord représenté des machines encore en fonction de sa vallée, au contact d’une partie desquelles il a travaillé pendant sept ans en parallèle de (et pour financer) ses études aux Beaux-Arts. Il se représente ces machines comme des totems, dont il ne fait ni l’apologie, ni la critique. On ne saurait y voir non plus de la nostalgie, mais on peut parler d’un pied-de-nez au créateur de l’esthétique industrielle, Raymond Loewy, qui disait que „la laideur ne se vend pas“. Tout dans ces „formes fonctions“ est tendu vers la pratique, y compris les couleurs, la peinture protégeant toujours les machines de la rouille et facilitant parfois le processus industriel.
Le plasticien s’attarde à restaurer leur caractère imposant par de grandes toiles. „En célébrant le silence des machines, le travail de Sébastien Mettraux nous apprend peut-être à exorciser le piège de la nostalgie, et à résister l’invisibilité des machines que nous mobilisons tous les jours du bout de nos doigts. Il nous invite à ralentir“, analyse Gabriel Dorthe, philosophe spécialiste notamment du transhumanisme auquel Mettraux a d’ailleurs déjà consacré une série, dans un livre tiré de cette série.
Pour lui, les vrais thèmes de l’art sont au nombre de deux: la vie et la mort. Et l’industrie fait partie de la première, elle est „une manière dont on occupe nos vies“. „Les machines sont des éléments mères de notre monde“, fait-il remarquer en soulignant leur omniprésence, derrière les objets et même les aliments qui nous entourent. À Esch, l’échelle n’est pas la même qu’à Vallorbe. Tout est plus vaste et plus grand jusque dans les usines qui ont la taille d’aéroports. La série „Ex Machina“ s’en fera ressentir, puisque après y avoir ajouté quelques machines vues lors d’une résidence en 2018 à Berlin et dans la région de Dresde, il veut désormais y ajouter un laminoir luxembourgeois en fonction. La période estivale ne lui a pas encore permis de le visiter. De toute façon, la toile de quatre mètres de large qu’il entend lui consacrer n’aurait pas pu être réalisée dans les ateliers encore inachevés de sa résidence eschoise.
A Esch, celui qui travaille à 40% dans le monde académique a fait des lectures, mais a aussi poursuivi ses recherches augurées avec la série „In silico“, consistant à générer des formes de manière aléatoire en programmant un ordinateur. Il pousse de cette manière un peu plus loin son souhait de „fusionner les outils numériques et la peinture“ et s’éloigne davantage de la figuration. C’est ce travail d’explorateur qui sera présenté au „Bridderhaus“ lors d’une exposition de restitution du 15 au 29 septembre prochain.
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