Critique de film / Netflix – „Pieces of a Woman“ de Kornél Mundruczó
Avec „Pieces of a Woman“, Kornél Mundruczó cherche à concilier expérimentation formelle et cinéma d’émotion. Si tous les ingrédients sont là, le résultat, souvent poignant, est parfois un brin trop surchargé pour emporter tout à fait l’adhésion.
Même si les cinémas luxembourgeois ont rouvert leurs portes, les nouveaux films ne se bousculent pas au portillon – la plupart des autres cinémas européens restant fermés, certains producteurs se sont rabattus sur des plateformes de streaming pour faire découvrir leurs films.
Il en va ainsi de „Pieces of a Woman“ du réalisateur hongrois Kornél Mundruczó, un habitué des grands festivals dont on peut découvrir le nouveau long-métrage sur Netflix depuis début janvier. C’est donc sur les petits écrans qu’on suit le plan-séquence initial (un peu trop) virtuose, d’une demi-heure ou presque, qui filme un douloureux et tragique accouchement.
Alors qu’elle perd ses eaux, Martha (excellente Vanessa Kirby) demande à son compagnon Sean (Shia LaBeouf) d’appeler la sage-femme, puisque le couple a insisté sur une naissance à domicile. La sage-femme de leur choix étant indisposée, ils se rabattent sur Eva. Ils sont donc trois à suivre cet accouchement difficile, tout en agitation, en exhalations de douleur, formellement mis en sourdine, le court temps d’un instant de flottement gracieux, par la très belle „Untitled #3 (Samskeyti)“ de Sigur Rós – et qui s’achève par la mort du bébé.
Avant ce plan-séquence, les jalons relationnels sont posés en trois scènes simples, au cours desquelles l’on voit d’abord Sean effectuer son job de travailleur portuaire, Martha quitter une fête organisée par ses collègues dans un gratte-ciel bostonien puis les deux se retrouver alors que la mère castratrice (Ellen Burstyn) leur achète une voiture, asseyant ainsi sa supériorité matérielle sur Sean, qu’elle semble penser incapable de subvenir aux besoins de sa future famille.
Comme dans „The Sweet Hereafter“, le roman de Russell Banks porté à l’écran par Atom Egoyan, le film montre comment, face à une des pires tragédies qui soient – dans les deux fictions, il est question de mort d’enfant(s) –, les parents, dont les vies sont à jamais brisées, se mettent à la recherche d’un responsable là où, souvent, c’est le hasard et la malchance qui sont en faute.
Il s’avère donc que ça n’est pas la première fois qu’Eva, la sage-femme à laquelle ils ont dû recourir, a bâclé son travail, raison pour laquelle un procès pour négligence prend son cours. Prend son cours également le lent et inévitable délitement du couple: alors que Martha essaie de tourner la page – elle fait du rangement dans la chambre de l’enfant et veut donner le corps du bébé à l’université – Sean lui reproche une froideur excessive, qui se réfugie dans l’adultère, la violence, la boisson et la drogue.
Si ces épisodes sont quelque peu prévisibles, ils sont souvent transcendés par l’excellent jeu de Kirby et LaBeouf et par l’écriture de Kata Wéber, qui évite tout pathos et montre comment, après de telles tragédies, le quotidien le plus rodé se dérègle, mettant à nu les différences de caractère – car qui peut prévoir, quand on se met ensemble, comment l’un ou l’autre réagira face à la tragédie – et le clivage social entre Martha, issue d’une famille aisée, et Sean.
Outre le morceau de bravoure initial, certaines scènes sont justes, poignantes ou/et visuellement réussies: il y a la discussion de film indé autour des White Stripes qui tourne au vinaigre, montrant qu’une tragédie, c’est quand tous les sujets de conversation, même les plus anodins, sont ramenés à un seul noyau traumatique, ou encore cette scène de procès au cours duquel Martha va faire développer les rares photos de la mère et du nourrisson avant que celui-ci ne meure – la lente apparition de l’enfant mort est à la fois violente et belle. C’est vers la fin que le pathos l’emporte quelque peu, Mundruczó soulignant par trop, à travers des regards dans le vide ou une symbolique qui enfonce les portes ouvertes, un propos qui aurait été, comme cela est le cas en d’autres scènes, plus touchant s’il était resté délesté de cette volonté d’en rajouter.
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