Berlinale (17) / Oops, they did it again: un palmarès hétéroclite et décousu
Au-delà du fait qu’aucune des trois coproductions luxembourgeoises n’ait obtenu de prix, le palmarès de la Berlinale ne fait, une fois encore, pas justice à une sélection officielle souvent intéressante.
On en a pris un peu l’habitude, que le choix du jury se veuille aux antipodes des échos critiques, comme si, en couronnant des films auxquels personne ne pensait vraiment, le jury cherchait plus à attirer l’attention sur lui-même que sur les films retenus – car il est un peu aussi inévitable qu’on se demande, en parcourant ce palmarès inégal, qui diable a pu faire ces choix (un peu comme pour la Palme d’or pour le médiocre „Titane“).
Ce palmarès, très eurocentriste – il y a trois productions allemandes et trois françaises –, très masculin aussi (il n’y avait d’ailleurs que cinq réalisatrices en compétition), soulève de nombreuses questions: si l’on comprend parfaitement que l’excellent „Roter Himmel“ de Christian Petzold ait eu le Grand Prix du Jury et qu’on ait décerné le prix de la contribution artistique exceptionnelle à Hélène Louvart pour son travail sur „Disco Boy“, d’autres choix, comme l’attribution de l’Ours d’or à „Sur l’adamant“ de Nicolas Philibert sont, pour le dire gentiment, discutables.
En 2018 déjà, l’Ours d’or fut attribué à „Touch Me Not“, une docufiction sur la vie sexuelle de personnes souffrant d’un handicap. Ce film ne fut que très peu projeté dans les cinémas du monde, et il est plus ou moins certain que „Sur l’adamant“ connaîtra le même destin.
Le choix est d’autant plus problématique que, comme je l’avais écrit ce samedi, le film était le seul documentaire de la compétition, de sorte qu’il était pour ainsi dire sans concurrence, les critères d’évaluation pour un film documentaire étant bien différents de ceux qui s’appliquent pour un long-métrage de fiction. A ce titre, le festival ferait mieux de s’inspirer du LuxFilmFest, où les contributions documentaires ont une sélection bien à eux.
Des choix discutables
Ensuite, l’on a du mal à comprendre pourquoi le prix de la réalisation aille à Philippe Garrel pour son poussif „Le grand chariot“ qui était, avec „Mal Viver“ de Joao Canijo, le film à avoir eu, sur la grille de la presse internationale, la note la plus basse: comment concilier ce choix d’un film on ne peut plus classique, ennuyeux dans sa forme, avec la volonté, affichée pour d’autres gagnants, d’innover, de couronner un cinéma qui joue avec les formes? Cela est à peu près aussi logique que la décision d’attribuer le prix du scénario à „Music“ d’Angela Schanelec – un film quasiment exempt de dialogues et de paroles.
Enfin, le choix de ne couronner qu’un·e seul·e comédien·ne pour le prix de l’interprétation (et celui du meilleur rôle secondaire), s’il se fait au nom de la diversité, résulte en un effet opposé, puisqu’il y a moins d’acteurs ou actrices à rentrer avec une récompense.
Dans cette perspective, l’on pourrait par ailleurs considérer comme discriminatoire le partage entre rôle principal et secondaire – et cela d’autant plus que Thea Ehre a eu le prix du meilleur rôle secondaire pour un personnage qui serait bien plutôt l’un des deux rôles principaux de „Bis ans Ende der Nacht“. Par contre, le prix de la meilleure interprétation pour la très jeune Sofía Otero qui incarnait un garçon qui ne voulait plus en être un, de garçon, est à la fois courageux et justifié.
Si la Berlinale a déjà parfois du mal, coincée qu’elle est entre Venise et Cannes, à programmer des grands films, si elle a fini, comme en attestait la compétition de cette année, par se concentrer moins sur des grands noms que des découvertes de réalisateurs et réalisatrices prometteurs, le palmarès ne reflète guère cela – et contribuera au contraire à marginaliser encore plus ce festival.
Car à quoi bon, en tant que producteur, de vouloir que son nouveau film y soit en compétition, si après, on rentre les mains vides – et que le prix le plus important aille à un documentaire certes touchant, mais en fin de compte convenu dans la forme (esthétique, narrative).
Cela est d’autant plus dommage que la compétition, bien qu’elle ait connu, comme cela est toujours le cas, quelques films un peu dispensables et qu’on aurait aimé qu’elle soit un chouia plus politique (on pense à la sélection Panorama, où des films comme „La sirène“ sur la guerre entre l’Irak et l’Iran ou „Propriedade“, film brésilien sur la révolte sanguinolente de travailleurs agricoles contre leurs patrons, montraient un festival plus engagé), a connu nombre de moments forts: que des film comme „The Surival of Kindness“, novateur, radical et politique, „Past Lives“, touchant et poétique, ou encore „Limbo“, une charge anticolonialiste présentée sous forme de néo-noir, repartent du festival les mains vides est tout simplement regrettable.
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