Soirée chorégraphique au Grand Théâtre / Quatre saisons et deux époques
Avec „Florescence in decay“, Elisabeth Schilling nous transporte dans le monde austère de la répétition programmée et du renouveau complexe, autour du thème des métamorphoses. Loin de la chaleureuse zone de confort et de poésie dans laquelle nous installe „Seasons“ de Jean-Guillaume Weis.
„Au début, nous étions tous un seul et même être vivant, partageant le même corps et la même expérience. Et depuis, peu de choses ont changé. De nouvelles formes et de nouveaux modes d’existence se sont répandus. Mais aujourd’hui encore, nous sommes tous une seule et même vie.“ C’est avec ces mots tirés du livre „Métamorphoses“ du philosophe Emanuele Coccia, penseur du „one life“, de cette pensée qui considère que tous les êtres vivants ne font qu’un pour mieux souligner leur interdépendance, qu’Elisabeth Schilling accompagne sa nouvelle production. Elle cite également l’anthropologue américaine Anna Tsing, penseuse de la prolifération du vivant et militante de nouvelles formes de perception pour sauver l’homme du marasme. Autant dire qu’avec „Florescence in decay“, la chorégraphe nous propose une pièce sur le vivant en proie avec son temps.
Son thème de recherche est celui de la métamorphose si souvent associé à la littérature, mais pourtant si bien adapté au spectacle vivant – on se souvient des „Métamorphoses“ d’Ovide sur le parvis de Neimënster en 2007 – et encore davantage à la danse. Elle s’est intéressée aux transformations naturelles du vivant, des algues, des plantes, des champignons. Ce sont ces espèces vivantes qu’elle met sous l’œil du public, invité à se confronter à la fois à la violence du changement comme à la célébration du potentiel renouveau. Son choix de lier l’inclassable, mais non moins électronique musique d’Anna Meredith, avec l’ode au changement que sont les „Quatre saisons“ de Vivaldi, montre bien qu’on tente ici de joindre deux bouts opposés, à moins qu’ils ne fassent finalement qu’un.
Au fond et à gauche de la scène, une imposante masse rocheuse fait penser aux entrailles de la Terre, à une grotte. Ce n’est pas l’Enfer de Dante, mais l’endroit est mystérieux et froid, jusqu’à ce que des formes commencent à se détacher de la forme matricielle. Le déplacement des espèces vivantes dans leurs cocons semble d’abord loufoque. On songe à l’ambiance dans laquelle nous a récemment plongé Simone Mousset avec son œuvre post-confinement, „ Empire of a Faun Imaginary“. Mais c’est bien une lutte sérieuse pour la vie et la survie qui se joue ici, à laquelle on assiste quand les espèces vivantes se défont de leur prison organique. C’est une danse de lutte; des alliances se créent, puis se défont tout aussi rapidement, pour mieux se reconfigurer. Tous les éléments semblent en effet ne former qu’un, à force de subir le même sort instable. Si la couleur des costumes signifie le renouveau, on ne quitte finalement jamais cet état primaire de la matière et les teints grisâtres. On a vu, mais rien résolu, avec cette méditation physique sur la continuité, la répétition et le changement.
Variations saisonnières
Si la pièce d’Elisabeth Schilling aurait gagné à s’allonger pour proposer d’autres nuances que le gris, celle de Jean-Guillaume Weis aurait pu être un peu écourtée, tant, au contraire, avec „Seasons“, on fait un tour vertigineux de tous les sentiments qui traversent les corps au long d’une année. À la lutte asexuée d’Elisabeth Schilling, cette pièce charnelle, déjà présentée en 2019 lors d’une autre soirée vivaldienne, oppose les vertiges des désirs. Jean-Guillaume Weis a retenu la recomposition des „Quatre saisons“ par Max Richter, avec l’Orchestre de chambre du Luxembourg.
De grandes branches de feuilles dorées pendent du plafond jusqu’au sol et quadrillent la scène, tandis qu’au gré des saisons et des tableaux, la structure monte ou descend. Jean-Guillaume Weis nous propose plusieurs variations autour des émotions que l’on associe traditionnellement aux différentes saisons, l’automne qui arrive, ses derniers soubresauts, les dernières joies avant l’hiver qui appesantit et ralentit les corps. La saison des amours. On virevolte, on souffre, on respire à pleins poumons, on se croit immergé dans un jardin radieux. Aux corps qui voudraient être nus et qu’on rhabille, aux pas légers des désirs de liberté alternent les périodes de renoncement au désir, d’errances solitaires. Souvent durant une seule et même saison. En y mettant de l’humain, et avec lui tous les tourments et les envies qui peuvent l’assaillir, indifféremment des saisons, il donne une épaisseur nouvelle à ces dernières.
Info
„Florescence in decay“ et „Seasons“ seront présentés samedi à 20 h au Grand théâtre de la ville de Luxembourg. Avec l’Orchestre de chambre du Luxembourg et Anna Meredith.
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