Film / Shakespeare à l’hypermarché: „16 ans“ de Philippe Lioret
Pastiche ou réécriture contemporaine de „Romeo & Juliet“ dans une France clivée par le néolibéralisme et la mésentente entre les cultures, „16 ans“ reproduit les clichés sociaux et racistes qu’il veut critiquer, faute à un scénario trop manichéen et des personnages secondaires trop clichés.
Ça commence par une scène-choc – Tarek (Nassim Lyes), un jeune arabe employé en tant que manutentionnaire dans un hypermarché, se fait accuser d’avoir volé une bouteille de vin hors de prix et, malgré l’absence de preuves, est viré sur-le-champ, sous prétexte d’avoir mal parlé à son supérieur. Conjointement, le film déploie le quotidien de sa sœur, Nora (Sabrina Levoye), qui fréquente la même classe que Léo (Teïlo Azaïs), le petit nouveau qui commence à la draguer un peu lourdement.
Réalisant que sous cette insistance se cachent de vrais sentiments de jeune amoureux, intriguée par le jeune homme, Nora succombe à son charme. Hélas, Franck (Jean-Pierre Lorit), le père de Léo, jeune Français issu d’une famille aisée (ce que le film fait comprendre à travers ce signifié clinquant et universel qu’est la piscine dans le jardin (pour en avoir une, il faut déjà avoir un jardin, deux choses que la famille de Nora, elle, ne possède pas)), n’est autre que le patron qui vient de disgracieusement licencier Tarek. Celui-ci prendra son licenciement comme ce qu’il était – à savoir un acte raciste.
Sa colère n’ira qu’en s’accroissant quand il constate que sa sœur fréquente le fils de son nouvel ennemi juré et, en bon frère ultra-protecteur, machiste, viril, misogyne et vénère, il est plus que tenté de mettre une bonne raclée à cette traînée qu’est sa sœur, finissant cependant par détourner sa violence sur Franck, forgeant, avec sa bande, un plan de revanche qui consiste à simplement tout casser, à l’hypermarché.
Alors que le réalisateur Philippe Lioret veut enchâsser cette réécriture de la célèbre tragédie shakespearienne dans le contexte d’une France contemporaine néolibérale scindée par le racisme, il ne réussit cependant qu’à pondre un film où chaque bon réflexe (le fait que Franck finisse lui-même licencié pour le même motif – celui d’avoir insulté son supérieur hiérarchique – que le jeune homme qu’il vient de virer, selon le principe de l’arroseur arrosé) est immédiatement contrebalancé par un faux-pas.
Ainsi, dans la famille de Nora, tous les mecs sont misogynes, l’épouse est faible et n’ose rien dire, ce portrait familial culminant dans une scène où le père attend Léo pour lui apprendre qu’on „ne vit pas tous de la même manière“: le film s’empêtre ainsi dans des platitudes, ses personnages véhiculent tant de clichés que, plutôt que d’en faire une critique antiraciste, Lioret n’arrive qu’à véhiculer des stéréotypes qui sont bien souvent, on le sait, à l’origine de ces mêmes simplifications racistes.
S’il fallait, pour valoriser cet amour qui s’en contrefout de leurs différences sociétales et culturelles – et force est d’admettre que la relation entre Nora et Léo fonctionne, grâce notamment au jeu convaincant des deux jeunes acteurs –, montrer l’opposition féroce des deux familles, cela n’en légitimait pas pour autant un traitement aussi caricatural des personnages secondaires, ainsi que de leur background culturel.
„16 ans“ de Philippe Lioret, 94 minutes, en salles à l’Utopia.
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