Film / Souriez, vous êtes égorgés: „Smile“ de Parker Finn
Avec „Smile“, Parker Finn réalise un film d’horreur esthétiquement réussi et qui parvient à rendre mal à l’aise. Si, d’un point de vue formel, le film convainc, il n’en met pas moins en évidence de grandes faiblesses au niveau de l’écriture et des stéréotypes inconsciemment misogynes.
L’avantage, avec les films d’horreur, c’est qu’il n’est jamais bien alambiqué, pour le critique, de résumer leur intrigue. Par contre, à lister tous les films qui ont déjà recouru à une histoire similaire, voire à la même, on ne s’en sortirait plus – ou on écrirait des recensions qui se liraient comme des listes d’achat.
Un film d’horreur, c’est un peu comme une variation sur un thème musical, sur une partition, un original bien connu, le film d’horreur étant par définition hypertexte par rapport à un hypotexte mythique, enfoui dans la mémoire des temps, ce qui paraît d’abord bien pratique pour les scénaristes, qui peuvent en pondre à la pelle, mais ce qui n’est, côté réalisation surtout, jamais bien évident, puisqu’il faut broder, sur une rengaine bien connue, quelque chose qui fasse ressortir du lot le film (car même en musique, il y a les Goldberg Variations – et il y a les autres).
Si „Smile“ y arrive partiellement, ça n’est certainement pas grâce à son scénario ni aux dialogues ou à la profondeur des personnages. Se focalisant autour de Rose (Sosie Bacon), une psychologue qui travaille dans une unité d’urgences psychiatriques et dont la vie prend des tournures tragiques après qu’une patiente, prétendant être hantée par une sorte d’entité, se suicide sous ses yeux, l’intrigue est assez prévisible: alors que Rose est convaincue que sa patiente était atteinte d’une maladie psychique, elle découvre que cette entité, un peu comme un virus, est à la constante recherche d’un hôte, qu’elle pousse au suicide, toujours devant un témoin qui s’en trouve traumatisé, témoin qu’elle utilise alors, se nourrissant de traumatismes, comme hôte futur, le poussant au suicide avant de passer au suivant, et ainsi de suite ad aeternam (ou jusqu’à la fin du film).
Une fois qu’elle a compris que sa patiente n’était absolument pas folle et qu’elle réalise qu’elle sera la prochaine victime, Rose essaiera de cacher ce qui se passe. Mais devant son comportement de plus en plus erratique, sa sœur et son copain Trevor se distancieront d’elle, interprétant ses réactions comme une sorte de maladie héréditaire, la mère de Rose s’étant suicidée sous les yeux de la jeune fille qu’elle était alors.
De la misogynie du film d’horreur
„Smile“ est le genre de film d’horreur qui rend nerveux, d’un parce qu’il réussit à faire peur de façon très, très efficace – et de deux parce que le comportement de son personnage principal est d’une idiotie impressionnante.
Alors certes, on comprend que, quand notre vie est en jeu, nos réactions ne sont pas aussi sereines et rationnelles que celles d’un spectateur devant un écran de cinéma. Néanmoins, il y a quelque chose qu’on appelle instinct de survie, et il y a quelque chose qui s’appelle autrui, piliers auxquels on pense pouvoir s’accrocher quand notre monde se délite, alors que dans le film, Rose excelle plutôt à empirer son cas: son perfect boyfriend Trevor la laisse tomber dès lors qu’elle commence à parler de ce qui ne va pas, de même que sa sœur bourge n’est pas là pour la supporter en quoi que ce soit.
Pire, Rose, un personnage dont on nous dit pourtant qu’elle est intelligente, parle à ses amis d’esprit maléfique et de visions alors qu’elle aurait bien pu, puisque, grâce à un ex-policier, elle en dispose, leur présenter un dossier d’investigation qui aurait montré que toute une série de suicides se sont déroulés selon exactement la même manière – bref, elle aurait pu étayer rationnellement ce qui, en effet, énoncé comme tel, peut donner l’impression qu’elle a perdu la boule. Le film sacrifie ainsi la crédibilité de son personnage sur l’autel des moments-chocs.
Le problème de maint film d’horreur réside en ce que la plupart du temps, ses personnages principaux sont des femmes solitaires, peureuses (ou qui le deviennent) et irrationnelles (ou qui le deviennent). Pourquoi insister à recourir quasi exclusivement à des personnages féminins? Parce que les hommes n’ont pas peur? Parce que les réalisateurs sont convaincus qu’une femme est plus angoissée qu’un homme (ce qui est complètement faux)? Parce qu’une femme, ça fait fragile?
Parce que les réalisateurs de films d’horreur prennent comme blueprint des histoire éculées sans les mettre en question et qui leur servent de prétexte pour épater formellement les spectateurs et spectatrices – et de ce point de vue, force est d’admettre que le film, bien que ses plans de caméra vertigineux en fassent parfois un peu trop, est diablement bien ficelé et que certains plans, notamment vers la fin, véhiculent une impression de claustrophobie digne d’un bad trip sous acide tout en y ajoutant une esthétique digne de David Lynch et des tableaux de Hieronymus Bosch –, ils ne se rendent pas compte qu’ils reproduisent sans même le savoir un hypotexte misogyne et poussiéreux, qu’il serait grand temps d’actualiser.
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