Villa Vauban / „Sous une lumière dorée“: L’Italie vue par les peintres néerlandais du 17e siècle
13 ans après son exposition dédiée à l’influence de Jérôme Bosch notamment sur les artistes du XVIIe siècle, la Villa Vauban renoue avec l’Âge d’or hollandais, en montrant pour la première fois une collection privée d’œuvres italianisantes de peintres néerlandais.
Poivrot, Crabe, Pointu, Pantin, Barbe de chèvre. On dirait des noms de soldats d’une armée de soudards comme celles qui terrorisaient les campagnes lors de la guerre de Trente Ans. Et pourtant, il s’agit des sobriquets d’artistes néerlandais qui, à la même époque, partaient en Italie, à la conquête de nouveaux paysages. Ils se disaient appartenir à la confrérie des oiseaux colorés (Bentwueghels) qui compta jusqu’à 400 membres, se réunissaient pour manger et boire à Rome, en se moquant gentiment de la religion catholique. Par la suite, l’histoire de l’art les a pris pour de drôles d’espèces, la piétaille de la peinture. Dans leur pays, on leur reprochait d’avoir déserté les paysages de grisaille et les maisons à pignon. Pourtant, les vues qu’ils rapportèrent d’Italie et qu’ils peignirent chez eux ont illuminé d’une lumière jusque-là inconnue les salons des nombreux bourgeois d’un pays qui affichait une prospérité insolente au cœur d’un siècle de désolation.
Durant ce XVIIe siècle, comme le rappelle le directeur des deux musées de la Ville de Luxembourg, Guy Thewes, dans le catalogue de l’exposition, un tiers de la population mondiale a succombé du fait de calamités en tout genre – famine, épidémies et guerres. Les actuels Pays-Bas formaient alors une république émancipée des Habsbourg qui contrôlait la moitié du commerce maritime mondial. Cette richesse aura eu des effets sur l’offre et la demande en art.
Un désir de collectionneur
Sur les 2.201 artistes néerlandais nés entre 1575 et 1675, 283 ont entrepris le voyage en Italie. C’est à ce phénomène méconnu et mésestimé que rend hommage la Villa Vauban avec l’exposition „Sous une lumière dorée“. La cinquantaine de tableaux du siècle d’or hollandais que possède la Villa Vauban a déjà servi de colonne vertébrale à des expositions comme celles réalisées de concert avec le prestigieux Rijksmuseum d’Amsterdam pour sa réouverture après rénovation en 2010 ou comme l’année suivante cette autre exposition consacrée aux marines néerlandaises de la même époque. Pour ce projet qui renoue avec l’âge d’or hollandais, elle a plutôt servi d’aimant sinon de prétexte. Un riche collectionneur de la ville voulait voir sa collection d’une cinquantaine de pièces exposées à la villa Vauban. Il est décédé avant de voir son vœu exaucé.
Les raisons pour entamer le long voyage en Italie par terre ou par mer étaient diverses et variées. On pouvait aussi bien vouloir découvrir les runes antiques, s’améliorer auprès de maîtres italiens ou profiter d’un meilleur climat. Les peintres français Nicolas Poussin et Claude Le Lorrain avaient ouvert la voie. L’Italie faisait figure aussi d’oasis au milieu du XVIIe siècle. Les peintres venaient y chercher une vision idéale du monde, faite d’ordre et de paix. Ils y prenaient des libertés avec la réalité pour y faire cohabiter les éléments récurrents que sont les ruines antiques, les scènes pastorales et la lumière du lever ou du coucher du soleil. La campagne environnante de Rome, notamment la ville de Tivoli et ses jardins luxuriants, donne leurs cadres à des visions idylliques, oubliant rarement le petit peuple, voire des scènes bibliques. Les tableaux ont aussi un intérêt archéologique quand on croise des paysages disparus, comme ce pont voûté peint d’après Jan Asselijn, qui aurait fait le bonheur des touristes aujourd’hui.
Manières de voir
Le travail des peintres de retour d’Italie auront aussi une influence sur leurs collègues comme Nicolaes Berchem (1620-1683), spécialiste des paysages hollandais qui adopte ce style, dont aucune source n’atteste qu’il aurait fait le voyage en Italie même si des changements dans le traitement stylistique de la lumière le laisse entendre. Les tableaux italianisants avaient des vertus relaxantes dans une société constamment menacée par la guerre, avance Guy Thewes en faisant un parallèle avec l’effet que peuvent exercer sur le spectateur luxembourgeois ces tableaux. „Si nous avons parfois l’impression de vivre sur une île des Bienheureux, au milieu de la mer agitée, tels les Hollandais au Siècle d’or, nous sommes aussi à la recherche de l’Arcadie, ce mythe ancien d’un paradis terrestre.“
On pourrait ajouter que si on peut ressentir des émotions similaires à trois siècles d’écart, c’est parce que la diffusion de ces tableaux à partir de 1640 survient au début d’une période qui marque une nouvelle manière de considérer le paysage dont nous ne sommes pas sortis à certains égards. C’est vers 1600 que la peinture de paysage connut sa première heure de gloire. Les paysages passent du statut de décor à celui de thème à part entière. On adopte „une attitude spectatoriale“ face au paysage, pour le dire avec les mots de l’historien des sensibilités Alain Corbin dans „L’homme dans le paysage“. C’est le primat de la vue dans la considération de l’espace qui se joue à ce moment-là et qui rassemble l’observateur d’aujourd’hui et celui du XVIIe siècle.
Une expérience à vivre jusqu’au 13 octobre à la Villa Vauban.
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