LuxFilmFest / Tant qu’il y a des „Kniddelen“, tout n’est pas perdu
A festival hybride, film hybride: „An zéro – Comment le Luxembourg a disparu“ s’imagine comment le grand-duché est rayé de la carte à la suite d’un incident nucléaire survenu à Cattenom en recourant tantôt à la fiction, tantôt au documentaire prospectif. Si le sujet tout autant que la forme passionnent, le film déçoit, faute surtout à une partie fictionnelle qui peine à convaincre.
Un documentaire situé en uchronie: voilà une forme novatrice en ce festival où la majorité des longs-métrages choisissent de flouter les frontières entre fiction et documentaire. Ça commence par un ingénieur du nucléaire à la retraite (Denis Jousselin), qui s’apprêtait à prendre le petit déjeuner avec son épouse (Colette Kieffer) et qu’on appelle pour un coup de main à Cattenom, où les choses ne tourneraient pas en rond. L’on suit ensuite une famille luxembourgeoise, les Fischer: lui (Luc Schiltz) est avocat, elle (Fabienne Hollwege) est artiste, qui se fait interviewer, après avoir ramené le cadet à l’école, par la journaliste Emma (Sophie Mousel) et son caméraman Nico (Joël Delsaut).
L’entretien sera vite interrompu, puisqu’une vidéo où l’on voit le technicien à la retraite alerter la population commence à faire le tour sur la toile: un incident de niveau sept aurait eu lieu à Cattenom et, sachant que le communiqué gouvernemental officiel arrivera trop tard, le technicien préfère prendre les devants et sonner l’alerte. S’ensuit évidemment une débandade monstrueuse, un exode vers le nord du pays.
Entre les scènes fictionnelles s’enchâsse le volet documentaire du film, où l’on fait intervenir, entre autres, des juristes, des hommes politiques, des historiens, qui débattent de sujets à la fois prospectifs et bien réels: le Luxembourg est-il prêt pour une évacuation éventuelle? En cas d’incident, faudrait-il fuir – tout en sachant que la voiture ne protège pas du tout contre l’irradiation – ou rester chez soi? Quelle est la responsabilité – juridique, éthique – de la France, connue pour avoir installé bon nombre de ses centrales nucléaires aux frontières de ses pays limitrophes? Que ferait-on des réfugiés luxembourgeois? Quel serait leur statut politique? Une nation peut-elle survivre à l’éradication de son territoire?
Là où les discussions entre différents experts tournent pour la plupart autour de ces questions juridiques, politiques, logistiques, la fiction est censée montrer comment la population luxembourgeoise vit les choses. L’idée de recourir à une telle forme hybride est excellente – en théorie tout du moins. En réalité, les choses sont moins évidentes.
Un documentaire uchronique
Tout d’abord, l’on se demande pourquoi le volet du ressenti est évacué vers la fiction, alors que les sciences humaines sont là pour prendre en charge de tels aspects sur le plan théorique. Si le panel des experts compte jusqu’à un agent immobilier, pourquoi ne pas avoir recouru à un philosophe ou un écrivain pour éclaircir ou interpréter plus en avant les débats éthiques et les séquelles psychologiques d’un tel événement?
Un médecin-philosophe nous explique certes que des gens déplacés souffrent souvent de problèmes liés à la nutrition alors qu’une freudienne réfléchit sur la survie des manifestations culturelles – mais qu’en est-il des questions existentielles qui hanteront les survivants? Un juriste spécule: tout comme les réfugiés musulmans se sentent toujours obligés de préciser qu’ils ne sont pas islamistes, le réfugié luxembourgeois aura toujours l’impression de devoir préciser qu’il n’est pas un expatrié richissime, puisqu’il aura perdu à la fois sa patrie et ses richesses.
Le récit de fiction serait donc là pour répondre à ces questions, ajoutant aux hypothèses des experts une version possible des événements. Hélas, c’est sur ce volet-là que le filme peine à convaincre – à cause d’une écriture bâclée, qui avance bien trop vite, l’on a du mal à adhérer à l’histoire. Les personnages sont campés avec maladresse et paresse – lors de la scène d’exposition entre Emma et sa grand-mère, en une minute de dialogue on ne peut plus artificiel, l’on apprend tout sur le drame émotionnel et affectif qui déchire ces deux existences, qu’on explique au spectateur sans nuance ni subtilité.
Les personnages sont tellement pétris de clichés (les jeunes regardent de l’avant, les vieux sont nostalgiques de la terre perdue) que les acteurs locaux, dont on connaît pourtant le talent, en arrivent tous à surjouer. C’est d’autant plus dommage que certaines idées – la population luxembourgeoise est installée dans différents camps – sont tout à fait pertinentes, qui rappellent d’ailleurs la fiction récente de Pierre Decock „Luxembourg – Zone rouge“, où l’auteur imagine quasiment le même scénario. Les rares fois où le documentaire et la fiction se répondent avec subtilité, l’hybridisation des genres porte ses fruits: après que les experts ont jugé qu’il faudrait surtout rester à la maison, écouter les consignes gouvernementales et ne pas succomber à la panique, l’image (fictionnelle) des masses paniquées renseigne qu’en situation de crise, l’on se soucie comme d’une guigne de ces consignes.
Sur le plan documentaire, plutôt convaincant dans l’ensemble, des débats centraux – quel sera le sort de la langue et de la culture luxembourgeoises? – sont passés un peu vite à la trappe là où d’autres nœuds thématiques prennent un peu trop le devant. Ainsi, certains s’inquiètent surtout – ça en dit long sur l’identité nationale – sur le sort du Luxembourg en tant que paradis fiscal.
Ailleurs, on effleure des débats plus cruciaux: si le Luxembourg est rayé de la carte, il ne sera plus qu’une fiction juridique. Comment faire pour qu’un pays sans territoire continue à être autre chose qu’une fiction? Pendant combien de temps une nation fictionnelle pourrait-elle continuer à subsister? Quel sort réservera-t-on au Luxembourgeois dans la diaspora? Une question qu’on évite de poser, mais qu’on aurait pourtant aimé voir surgir: y aurait-il une sorte de Schadenfreude de la part des pays qui considèrent que le Luxembourg n’est de toute façon qu’un pays de riches et décadents hédonistes?
Si le montage permet de donner l’illusion d’un débat – les interviewés surgissent dans un paysage blanc, symbole de l’anéantissement du pays, duquel émergent des chaises, fauteuils ou cadres, esquissés d’abord digitalement avant de se matérialiser – et que la volonté de monter ces discours en fiction de débat est louable, la dynamique n’y est pas toujours. Cette dynamique manque aussi à la fiction, qui se termine – le ridicule ne tuant pas – par un repas traditionnel que la Boma confectionne pour Emma. On est irradiés, certes, mais tant qu’il y a des Kniddelen, tout n’est pas perdu.
Le film est disponible en ligne jusqu’à mercredi matin à 10.00 heures
Note: 2/5
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