/ Un Festival d’Avignon très politique: Les thèmes sociaux ont dominé cette 73e édition
Tandis qu’une grande partie de l’Europe s’embrase sous la canicule, on est arrivé à la fin de la 73e édition du Festival d’Avignon, une édition qui a surtout été dominée par des thèmes sociaux, voire sociologiques, ainsi que par des pièces à caractère politique.
Par Ian De Toffoli
Pourtant, dans la rue, on s’accorde à dire qu’il s’agit d’une édition plutôt insipide, qu’il n’y a pas eu de vrai grand spectacle, que les gestes artistiques forts manquent, que la pièce montrée au palais des papes, „Architecture“, écrite et mise en scène par Pascal Rambert, qui a réuni une équipe de comédiens de rêve (Emmanuelle Béart, Audrey Bonnet, Anne Brochet, Arthur Nauzyciel, Stanislas Nordey, Denis Podalydès, e.a.), n’est qu’une juxtaposition inorganique et artificiellement boursouflée de monologues censés donner leur temps de parole aux stars sur scène, que le festival Off, avec ses 1.592 pièces, était sur le point de faire un burn-out, etc.
Il est vrai qu’il y a eu des déceptions parmi les spectacles aux grandes thématiques (notamment celles des odyssées d’aujourd’hui et de hier, ainsi que de la construction et de l’idée européenne), dont on s’attendait beaucoup, comme „Nous, l’Europe, banquet des peuples“ de Laurent Gaudé, mis en scène par Roland Auzet dans la cour du Lycée Saint-Joseph.
„Nous, l’Europe, banquet des peuples“
Il s’agit d’une longue pièce-poème qui ne fait, finalement, que résumer l’histoire européenne (en gros: de la CECA aux nazis en passant par l’immolation de Jan Pallach pour aboutir au Brexit), pour finalement appeler sur scène un témoin de l’époque (le jour de la première, c’était François Hollande), tenir un discours pro-européen et d’entente des peuples (ce que le pauvre ex-président s’est donc, sur scène, désolé de ne pas avoir réussi pendant les années de son mandat).
Les propos de ces trois heures de spectacle aux bonnes intentions (on connaît le dicton) étaient tenus par un ensemble international de comédiens de très haut niveau (dont la formidable Karoline Rose, chanteuse de Sun, un groupe de „brutal pop“, qui n’a pas hésité à hurler ses chansons d’une voix caverneuse puissante), accompagnés par le Chœur de l’Opéra Grand Avignon ainsi que quarante chanteurs amateurs.
Pourtant, on peut avoir l’impression que le seul public cible pour lequel une telle pièce pourrait faire sens serait de jeunes lycéens à qui il faut, surtout de nos jours, réexpliquer le projet européen, l’ouverture des frontières, le refus d’une nouvelle guerre, les avantages économiques, mais que, devant un public adulte, habitué des salles de théâtre, dont on devine l’orientation politique, la pièce ne fait que prêcher devant des convaincus.
L’acte de résistance de Serebrennikov
Une des grandes réussites du festival était sans doute la très attendue pièce „Outside“ de Kirill Serebrennikov, le metteur en scène russe et directeur du Centre Gogol de Moscou, qui, en 2017, a été placé sous résidence surveillée, suite à une accusation absurde de détournement de fonds publics.
En vérité, Serebrennikov, qui était devenu un véritable homme de pouvoir, capable d’influencer les jeunes, à l’aise dans les milieux punks mais aussi ami de personnages hauts placés, très critique de la politique russe, surtout de l’annexe de la Crimée, ouvertement en faveur des mouvements LGBT+, connus pour ses pièces qui montrent la nudité de façon très explicite, a été une cible plus qu’évidente de la machinerie de Putin.
En avril de cette année, il a été libéré, mais il n’a toujours pas le droit de quitter Moscou, alors que ses films, pièces et opéras sont montrés dans l’Europe entière, et donc également dans le In d’Avignon.
Hommage à Ren Hang
„Outside“, pièce dans laquelle Serebrennikov se raconte lui-même par le biais du portrait d’un autre, raconte la brève vie et la mort d’un photographe et poète chinois du nom de Ren Hang, qui s’est suicidé à l’âge de 29 ans, en 2017 (quelques jours avant la date convenue entre Serebrennikov et Hang, afin de travailler sur un projet commun).
Cet artiste chinois subversif photographiait des corps urbains dans un mélange de sexualité crue et d’humour. Il se faisait sans arrêt censurer, il était persécuté, il dérangeait, il provoquait, il était poétique, insolent, insoumis, irrévérencieux, loin de la morale dominante, mais il souffrait également de longues plages de mélancolie et de dépression.
Dialogue avec un mort
Dans „Outside“, un narrateur, double de Serebrennikov, dialogue avec le fantôme de Ren Hang sur les raisons de son suicide, en interrogeant son art, en citant ses poèmes et en revisitant ses photographies de nus, en lui posant des questions sur sa famille, son homosexualité, qu’il devait cacher, faisant ainsi revivre l’artiste chinois par une vaste prosopopée.
Le spectacle se transforme en grande fête charnelle, aux sons électro déglinguants, en grande revendication de la liberté de penser et de créer, en acte de résistance même.
On peut également, parmi les pièces dont on gardera un souvenir, citer „Pelléas et Mélisande“ de Maeterlinck, mise en scène par Julie Duclos, à la FabricA, mise en scène stylisée, sobre, cinématographique, visuellement épatante, avec un duo de comédiens époustouflants, Alix Reimer et Matthieu Sampeur, que le public luxembourgeois a déjà pu voir dans le très remarqué „Les Evénements“ de David Grier en 2017.
„Révolte“ d’Alice Birch a su convaincre le public
Du côté luxembourgeois, la pièce „Révolte“ d’Alice Birch, montrée dans le Off, dans la mise en scène de Sophie Langevin, a su convaincre le public et les critiques. La pièce a été montrée au théâtre de la Caserne, le lieu pris en charge par le Grand Est, auquel le Luxembourg s’est donc joint, comme l’ont également souligné les nombreuses tables auxquelles la ministre Sam Tanson et quelques directeurs d’institutions culturelles luxembourgeoises ont pris part.
Vu le nombre impressionnant de pièces que la région Grand Est envoie à Avignon, on peut être amené à se demander s’il ne serait pas utile, en ce qui concerne le Luxembourg, de réfléchir à soutenir plus d’un projet luxembourgeois par an en vue d’une présence au festival. Il en serait grand temps.
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