Casino Display / Un havre de liberté
Le Casino Display devient un lieu explicitement consacré à la recherche artistique des étudiants et des jeunes diplômés en art. Ils seront au contact de professionnels aguerris, sur place et dans la publication qui rendra compte de leur rencontre.
Dix-huit mois après son ouverture en lieu et place de l’ancien „Konschthaus beim Engel“, face au Marché-aux-Poissons, le Casino Display ne veut pas rester ce qu’il est, à savoir un lieu simplement mis à disposition des étudiants des écoles d’arts partenaires dans la Grande Région. Des projets menés en étroite collaboration avec ces écoles est née l’envie de participer de manière plus directe. En septembre, il deviendra ainsi une force de proposition en marge des cursus et un lieu de rencontres entre jeunes artistes et monde professionnel, avec un focus assumé sur la recherche historique. Il restera un lieu de résidences et un lieu d’information pour lycéens certes. Mais le lieu d’exposition pour étudiants se transforme en endroit où ces derniers pourront questionner leurs méthodes et se confronter à de nouveaux concepts. Le Casino Display sera alors „un espace pour mettre à l’épreuve des ébauches d’idées, sonder des concepts à peine esquissés ou renverser les ontologies établies au profit d’approches fluides et perméables“, comme le formule le communiqué de presse publié lors de la double présentation ce 7 juillet.
Les laboratoires de recherche artistiques ont le vent en poupe, notamment dans le pays modèle pour l’audace de ses écoles d’arts que sont les Pays-Bas. Le Casino Display, à un niveau plus modeste, entend représenter ce créneau dans la Grande-Région, au profit des étudiants des écoles d’art lorraines, alsacienne et sarroise qui figurent dans son réseau, en attendant l’arrivée d’autres. Ce faisant, il répond à une demande des nouvelles générations d’artistes, identifiées par ces écoles. „Aujourd’hui, dans l’art, la théorie et la pratique sont de plus en plus liées et la recherche artistique devient toujours plus importante“, explique Claire Buchler, coordinatrice de ce projet spécifique avec Charles Rouleau, artiste qui avait piloté l’exposition durant l’hiver dernier.
Faire d’abord, voir ensuite
„On a décidé de proposer notre propre programme qui s’intègre de manière indirecte aux cursus proposés par les écoles d’art“, explique le directeur du Casino-Forum d’art contemporain, Kevin Muhlen. Les écoles d’art ont toutes des projets de professionnalisation des artistes et de mises en relation entre le milieu de l’éducation supérieure artistique et le milieu professionnel institutionnel, dans lequel s’inscrit le projet qui commence au mois de septembre. Concrètement, six étudiants, recrutés après un appel à candidatures, participeront à trois semaines de recherche (une en septembre, une en novembre et en février), composées de séminaires et d’ateliers animés par des intervenants internationaux connus dans l’expérimentation. Le thème retenu est „l’inconnu et la façon dont la notion de flou ou d’imprécision peut constituer le moteur de la recherche artistique“.
La recherche artistique opère dans les failles laissées par d’autres disciplines. Et elle a pour arme la liberté, afin de produire, elle aussi, des connaissances. Il a donc été décidé de permettre une expérimentation avec la plus grande liberté possible. „Ce qui est important, c’est le processus, l’expérimentation, pas nécessairement d’avoir une œuvre concrète à la fin. On ne peut pas dire auparavant ce que vont faire les étudiants, comment ils vont réagir aux masterclass, si des collectifs vont être créés … ou même des murs cassés“, explique Claire Buchler. „Ils sont libres de trouver leur approche de travail et leur manière de conduire leurs recherches.“ Entre chaque semaine de formation, les lieux seront laissés comme les étudiants les auront laissés. Et à la fin de chaque semaine, sera organisée un „open lab“ durant lequel le public sera amené à découvrir ce qu’est la recherche artistique.
„Le Casino Display s’oriente plutôt à ces formes non finies, à cet entre-deux, cette recherche artistique qui n’a peut-être pas une forme finale, mais qui, à un certain moment, peut être présenté à un public“, commente Kevin Muhlen. Bien évidemment, le concept est amené à être précisé, si besoin. „On veut voir vers où cela va nous mener. On ne s’est pas enfermé dans des formes administratives ou trop académiques de partenariats très fermés“, poursuit le directeur artistique. „On ne voulait pas, sans expérience, plonger dans ces méandres académiques et administratifs, mais d’abord proposer quelque chose et, en fonction de nos expériences, penser la suite.“
La documentation des rencontres et des réflexions sera organisée dans le cadre du partenariat déjà éprouvé et prolongé avec l’Institut Page, cellule de l’école d’art de Nancy, qui traite de l’édition. „Penser hors format et de manière expérimentale face à l’édition est quelque chose de très riche et qui permet d’ouvrir des discussions très différentes de ce qu’on a lors de nos résidences d’artistes.“
Des résidences révélatrices
Les résidences garderont tout leur sens dans le Casino Display revisité. Elles sont, elles aussi, des espaces d’approfondissement ou de renouvellement de ses propres pratiques. Le cas de Lynn Klemmer, artiste en résidence depuis le mois de mars, donne un bon aperçu de la liberté qu’insuffle le Casino Display. Dépourvue d’atelier, l’artiste de 28 ans était jusque-là habituée à créer sur ordinateur. En prenant possession des espaces d’exposition généreux du Casino display pour cinq mois, cette diplômée de l’école nationale d’art de Dublin a justement expérimenté de nouvelles pratiques, a étendu ses réflexions à la pensée spatiale et a eu l’idée de porter la critique des nouveaux médias sans recourir justement à ces médias.
La critique qu’elle adresse est bien au cœur des préoccupations de cette jeune génération qui n’a connu que les nouvelles technologies et qui ressent de la nostalgie quand elle pense aux premiers âges d’Internet. Elle se situe au cœur de l’exposition „I will not return to a universe of objects that don’t konw each other“, dont le nom est repris d’un poème de Lisel Mueller au sujet de la cataracte que Claude Monet ne voulait pas se faire opérer. Ce dernier texte est riche en associations, tout comme les tests de Rorschach dont elle a imprimé des bandières en tissu à l’entrée de l’espace d’exposition et comme les plus inquiétantes intelligences artificielles et algorithmes qui par de savantes associations entendent prédire les comportements.
Elle a pensé les pièces d’exposition comme des sites Internet, dans lesquelles rien n’est virtuelle. Dans l’une d’elle, l’œil d’une caméra de surveillance évoque de nouveau la prédictibilité de nos actes qu’espère prouver la récolte de données et questionne la possibilité d’un hasard par un jet de dés sur un damier. Lynn Klemmer a aussi écrit sur les murs „You turned my teenager room into an echo chamber“ pour montrer comment les injonctions diverses et variées des réseaux sociaux et le changement ultrarapide des modes produisent plutôt du bruit que du rêve. Dans une salle contiguë, des ballons colorés gonflés à l’hélium renvoient à ceux virtuels qui apparaissent à l’annonce d’anniversaires sur les mêmes réseaux sociaux et contraignent tout le monde aux mêmes joies. Le Casino Display en est très certainement un remède à cette superficialité contrainte.
Infos
L’exposition de Lynn Klemmer „I will not return to a universe of objects that don’t know each other“ est visible le lundi et du mercredi au samedi (13-19.00 h) jusqu’au 6 août 2022. L’entrée est libre. Un colloque et une conversation avec l’artiste auront lieu le 14 juillet à 19.00 h, durant lesquels seront notamment abordés avec des chercheurs universitaires des thèmes de recherche que l’artiste n’a pas (ou peu) eu le temps de traiter pendant sa résidence (les rêves, les simulations, l’intelligence artificielle).
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