Patrimoine architectural / Réparer est plus durable que détruire
La rénovation des bâtiments anciens ne protège pas seulement le patrimoine, elle protège également le climat. Les destructions de patrimoine mues par la spéculation immobilière ont un coût écologique rarement débattu.
Cette semaine, la pétition numéro 1638 qui lance depuis un mois un „appel urgent pour la protection du patrimoine architectural luxembourgeois“ a dépassé allègrement le seuil des 4.500 signatures, synoyme d’une entrée prochaine de la question au sein de de la Chambre des députés. Le débat inédit qui s’annonce à l’automne devrait mettre les responsables politiques devant les nombreuses contradictions de la situation du marché de l’immobilier, à l’aune de la protection défaillante du patrimoine.
Les débats mettront en lumière une plus grande propension à évoquer l’identité nationale, au sujet de la langue, qu’au sujet d’un patrimoine architectural pourtant en plus grand danger. Ils devraient aussi éclairer la contradiction entre les objectifs de lutte contre le changement climatique et la poursuite d’une habitude qui est bien souvent un non-sens écologique.
Energie grise et arguments obscurs
Dans leur cahier de doléances mis en ligne, les pétitionnaires présentent consacrent un large chapitre aux enjeux écologiques souvent invoqués à tort pour justifier la destruction plutôt que la rénovation. Ils convoquent l’architecte allemand Hans-Joachim Ewert pour affirmer avec lui que „du point de vue de la consommation finale d’énergie, c’est-à-dire de la construction et de l’entretien, la réhabilitation énergétique d’une maison existante doit toujours être préférée à une démolition ou à une nouvelle construction, même lorsqu’il s’agit de la construction d’une maison passive“.
Pour en arriver à cette conclusion, il faut prendre en compte le bilan énergétique complet de la maison passive, devenue la norme, et notamment l’énergie de sa construction, et non seulement sa consommation en gaz et électricité une fois achevée. Les pétitionnaires citent à l’appui une étude autrichienne de la Fachhochschule Burgenland qui démontre que cette quantité d’énergie dite grise pourrait dépasser de cent fois sa consommation annuelle d’énergie. La faute en revient à la fabrication gourmande en énergie des isolants sur base de produits synthétiques, de colles et de tuiles, selon l’étude.
„La production de béton est extrêmement énergivore“, ajoutent les pétitionnaires. Elle serait à l’origine d’environ 8% des émissions mondiales totales de dioxyde de carbone (CO2), certes moins que l’impact produit par le secteur agricole mondial (12% des émissions de CO2), mais bien plus que celui de l’industrie aéronautique (2,5%). Quant au secteur du BTP dans son ensemble, il a produit, en 2017, 39% des émissions mondiales de CO2 selon la Global Alliance for Buildings and Construction.
Echec social, culturel et écologique
Si on prend en compte l’énergie grise produite par la destruction du bâtment, la rénovation est dans la très grande majorité la solution la plus écologique et la plus économique, dans le cas du bâti existant. Dans le monde de l’architecture, des voix ont ainsi commencé à se faire entendre afin de pousser leurs collègues à renoncer au neuf pour relever le défi de la rénovation. La réhabilitation du patrimoine existant s’ajoute à la lutte contre les îlots de chaleur et la question des matériaux employés. à la longue liste de questions que doivent se poser les architectes qui entendent contribuer à l’effort contre le réchauffement climatique.
Le mouvement est vif dans le monde germanophone mais gagne aussi les autres pays. En novembre dernier, le conseil régional de l’Ordre des architectes d’Île-de-France organisait un colloque de trois jours baptisé „Réparer la ville“, afin de thématiser cet intérêt de la rénovation. Sa présidente et initiatrice Christine Leconte disait à cette occasion au magazine Télérama que la destruction est un triple échec: „social d’abord, car personne n’aime voir sa maison réduite en poussière; culturel, aussi, car le bâti fat partie de notre patrimoine; écologique, surtout, avec tous les gravats et déchets qu’il faut ensuite évacuer, stocker, abandonner …“.
„Et il n’y a pas seulement les déchets complètement non-nécessaires, mais aussi le fait qu’après, il faut encore recommencer: des milliers de litres de béton, des nouveaux parquets et carrelages, des fenêtres, des portes, tout“, complète Peter Klejnenburg. Ce triple échec social, culturel, écologique, ce juriste néerlandais l’a ressenti au plus près. Cette expérience est même à l’origine de sa création du groupe Facebook „Luxembourg under destruction – Mir wëllen halen, wat mir hunn“, à l’automne dernier, dont le succès fut aussi fulgurant que la pétition qu’il a engendrée.
Voilà quelques années, Peter Kleijnenburg a dû quitter une maison spacieuse des années 30 sur la route d’Arlon à Luxembourg. Pour les autres locataires et lui, c’était un crève-coeur de devoir quitter un bâtiment dont ils appréciaient le cachet. Ils avaient songé un temps allier leurs forces pour racheter au propriétaire leurs appartements. Mais ils ne faisaient pas le poids face à un promoteur qui payait bien au-dessus des prix du marché et bien en dessous ce qu’allait lui rapporter le bâtiment après destruction et reconstruction de nouveaux logements. „Une fois qu’un bâtiment est construit, le plus écologique est de continuer à l’utiliser. Surtout quand un tel bâtiment des années 30 est d’une telle qualité qu’il peut encore servir cent ans ou plus“, se désespère-t-il encore, en pensant à l’immeuble resté vide mais pas encore détruit.
Des constructions adaptées au climat
Ce n’est pas seulement l’aspect extérieur et donc le paysage de la ville qui pâtit de ces destructions, ce sont des intérieurs et des constructions, toutes témoins du passé, qu’on enfouit dans les dépôts de déchets inertes. L’ironie du sort est que ces maisons construites avant 1955, que les pétitionnaires voudraient voir toutes classées d’office, sont souvent une leçon grandeur nature de la capacité de l’homme à puiser dans son environnement proche les moyens de s’adapter au climat local.
Ces demeures „sont généralement construites avec des savoirs vernaculaires, qui tiennent compte des conditions climatiques locales“, dit le texte de la pétition. „Ainsi, bien qu’elles ne soient généralement pas associées à une faible performance énergétique en soi, les vieilles maisons de ferme, par exemple, ont généralement des murs épais qui protègent contre le froid en hiver et contre une chaleur excessive en été.“
Cet argument est cher à Karin Waringo, une autre co-pétitionnaire. Alors que les vieilles maisons étaient principalement construites avec des matériaux naturels d’origine locale, biosourcées et recyclables, les nouveaux bâtiments reposent généralement sur l’utilisation de matériaux complexes, comme le Styropor, dont le recyclage génère des problèmes, explique-t-elle. „Une partie de la classe politique est d’avis qu’il faut impérativement détruire les maisons anciennes parce que ce sont des passoires énergétiques, alors c’était important pour nous de contredire ces arguments.“
Rénover est d’ailleurs aussi la clé pour garantir les prix abordables. Et c’est l’architecte allemand Hans-Joachim Ewert qui le disait, à l’occasion de la rénovation d’une construction des années 50 dans la ville de Bremerhaven: „Plus on utilise la bâti existant, plus on peut économiser et plus on peut proposer d’habitations abordables.“ Les enjeux écologiques et les enjeux économiques se recoupent une fois de plus.
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Merci d’avoir abordé ce sujet totalement ignoré au Luxembourg!