Mais reprenons depuis le début. La veille encore, la bourgmestre s’enorgueillit, sur la même chaîne, se prévalait, se targuait, se vantait que la Ville faisait plus pour les sans-abris que toutes les autres municipalités. Question: Quelle comparaison! N’est-ce pas normal que la Ville fasse plus que Schlindermanderscheid? Pourquoi la Ville possède plus de théâtres que Munshausen?

Autre rengaine, jamais véritablement prouvée: des organisations étrangères (caressons la majorité silencieuse et les électeurs de droite dans le sens du poil!) seraient à l’œuvre, des grosses berlines déposeraient les sans-abris le matin en Ville, et viendraient encaisser le soir. Je ne sais pas si cela correspond à la vérité, le procureur en doute également, mais si tel était le cas, pourquoi la Police n’est-elle jamais intervenue, le cas échéant, déjà à la frontière pour intercepter de tels malfaiteurs. Mais probablement, c’est plutôt l’exception que la règle. Ou une Fata Morgana. La Police judiciaire, qui a préparé le terrain pour l’intervention des forces de l’ordre cette semaine au Centre Hamilius, aurait pu, voire dû, mener une enquête ad hoc depuis longtemps. Mais non, parler de „ces bandes organisées“ sonne tellement bien, c’est comme un jouet utile, on ne s’en lasse pas, ainsi même le dernier des Mohicans fait semblant d’approuver cette analyse. Fichtre!

Merci M. le Procureur!

Les oreilles du ministre et de la bourgmestre ont dû siffler lorsque le procureur, sur RTL, cette semaine, a affirmé, en fait contredit les dires de la bourgmestre, en précisant que la mendicité simple ne figure plus dans le code pénal comme délit. La bourgmestre avait encore affirmé le contraire, 24 heures plus tôt. Qui croire? Devinez! Il est de notoriété qu’à force de répéter une contre-vérité, celle-ci ne devient pas une vérité, n’en déplaise!

Plus loin, le procureur semble se lâcher et donne une leçon de droit à nos deux protagonistes, en fait quasi un rappel à l’ordre. Je cite: „A l’article 19 de notre Constitution, il est stipulé qu’il ne peut y avoir de sanction sans disposition légale ad hoc. Une loi, au sens formel du terme, s’impose toujours à un règlement de police communal“. Donc règlement communal inclus. Donc actuellement la Police n’a pas le droit d’intervenir contre les sans-abris. Je répète: la Police n’a pas le droit d’intervenir contre les sans-abris! Et celui ou celle qui ordonne quand même une telle intervention se met hors la loi! Avec toutes les conséquences inhérentes à une telle illégalité. Schrassig vous salue! Un vrai „coup d’Etat juridique“!

Et le procureur d’ajouter: „Par ailleurs, l’article 37 de la Constitution prévoit une disposition qui stipule qu’une liberté publique ne peut être restreinte par une loi“.

Des paroles très fortes qui devraient mettre plus que dans l’embarras nos deux protagonistes, ministre et bourgmestre. Et d’ajouter: „Comme la simple mendicité n’est plus interdite dans le Code pénal, aucun règlement communal n’est autorisé à réintroduire cette interdiction. On ne peut donc pas réintroduire par l’arrière-porte une telle disposition“.

C’est fort de café. Quelle gifle, quel désaveu, quelle leçon de droit, surtout vis-à-vis de notre ministre qui se targuait encore récemment d’être le meilleur juriste devant l’éternel. Félicitations du jury! Mais le pénal et les affaires (celles des affairistes) sont deux paires de manche.

Napoléon aux abonnés absents

Mais la série continue, le ministre doit boire le calice jusqu’à la lie. (D’après le dictionnaire, cette expression veut dire „qu’une personne doit endurer jusqu’au bout quelque chose de pénible“).

En effet, le procureur s’étonne que le ministre se base sur un décret de 1789 (!) pour les besoins de sa cause. (Petite pique: le ministre avait cité Napoléon comme étant à l’origine de ce décret. Pas de chance: Napoléon est né en 1769 seulement, et à 20 ans, il n’était pas encore au pouvoir. „Domm gaang!“ Hi hi!)

Le procureur continuait: „En plus, ce décret est formulé d’une façon tellement vague, que, finalement, il est superfétatoire, voire sans objet. Ainsi, il serait plus que douteux, qu’à l’occasion d’un procès, le règlement de police puisse être d’une quelconque utilité.“ Si on connaît la prudence de la parole proférée par un procureur, pas besoin d’insister!

D’après le procureur, il est impossible de faire la distinction entre mendicité agressive ou mendicité simple. Et qu’il n’appartient pas à des politiques pour ce faire. Sans parler des policiers, pas formés pour faire dans de telles nuances. Car la mendicité agressive n’est précisée dans aucun texte, seulement dans la tête de quelques politiques.

Ici et maintenant, il n’y a pas lieu d’entrer dans tous les détails de ces procédures, décrites par le procureur. Peut-être qu’une prochaine occasion se prêtera pour ce faire. Mais manifestement la Police, paroles de procureur attestant, est simplement dans l’illégalité en intervenant. Grave, très grave! Qu’en pense le premier ministre, peu loquace sur le sujet, sans parler de la ministre de la Justice. Ils pratiquent tous les deux la discipline olympique typiquement luxembourgeoise, avec la perspective d’une médaille à la clé dans cette discipline aux JO à Paris 2024: faire le canard!

Un dernier pour la route: le procureur affirme clairement que l’instrument envisagé par le ministre et la bourgmestre est de toute façon un instrument inadapté pour atteindre éventuellement leur objectif.

Conclusions

S’il fallait encore des preuves que, depuis quelque temps, l’ensemble des agissements du ministre et de la bourgmestre sont à classer dans la rubrique gesticulation, window dressing, feintes, affichage et j’en passe, et des meilleures, les voilà! Et quels changements de pied permanents. Ils changent de position comme d’autres changent de caleçon. Attention au torticolis!

Le stratagème est limpide: il s’agit de faire croire à une certaine partie de la population qu’on s’occupe de ses problèmes, quitte à regarder avec une loupe les petits problèmes et à détourner la tête des autres. Il est plus facile de résoudre un petit problème qu’un grand, cette lapalissade est vraie, une fois de plus, dans le cas présent, malheureusement. Il faut démontrer qu’on est sur le pont. Dormez, pauvres incultes, les shérifs veillent …

Il s’agit en fait de prendre les enfants du bon Dieu (dans le cas présent, les mendiants) pour des canards sauvages. Etre fort avec les faibles, et faible avec les forts, est la devise.

Et on s’acharne sur les personnes qui sont en bas de l’échelle sociale, les pauvres parmi les pauvres. Be ashamed!

Dernière question: Pourquoi on ne fait pas preuve du même acharnement pour détecter et poursuivre les nombreux cambrioleurs de maisons et d’appartements qui agissent depuis quelque temps sur le territoire de la Ville et également ailleurs. Beaucoup de gens sont davantage concernés par ces délits criminels que par les pauvres mendiants. Et des bandes organisées ont mis en place des circuits ad hoc pour vendre leur butin à l’étranger, notamment les voleurs de bicyclettes électriques, volées à la chaîne, par centaines …

NB: Un gradé de la Police m’a expliqué l’autre jour que les agissements de la bourgmestre avaient comme but, notamment, d’attirer les projecteurs sur la Ville de Luxembourg afin de pouvoir disposer d’un contingent de policiers plus important, même proportionnellement, que les autres localités du pays. Déshabiller Pierre pour habiller Paul. Résoudre un problème en en créant un autre ailleurs.

Esch, Dudelange, Differdange et autres vous saluent …

* L’auteur est un ancien député et conseiller d’Etat

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